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[article] Le podcast est-il vraiment de la merde ?

[article paru sur agoravox]
Les podcasts et les vcasts, en tant que production audio-visuelle, sont-ils à penser à l’aune de la télévision ? A l’occasion de leur stigmatisation dans un article, nous analysons leur nature, et tentons de mettre en lumière leur potentiel devenir.

Le 28 janvier, sur le blog radical-chic.com, Guillermo a écrit un article stigmatisant l’usage des podcasts (lire ici). Il explique que le podcast, par sa qualité, et par son médium – soit seulement son, soit image et son (vpodcast), retranscrit la médiocrité télévisuelle, ne peut que manquer de contenus.
Or, il est bien évident que cette analyse repose sur de nombreuses bévues :
1/ Tout d’abord, au niveau télévisuel. Ce n’est pas le médium qui provoque la médiocrité du petit écran, mais bien au contraire la logique de l’usage de ce médium, et l’intentionnalité qui la domine. Une technique n’est pas neutre, mais elle est toujours déjà investie d’une certaine logique d’utilisation, de certaines idéologies quant à son pouvoir. La télévision dans son usage est destinée à une large population (mass média), et vise l’interprétation et la compréhension moyenne de celle-ci. De plus, du fait de sa spécificité technique (usage de canaux qui sont en nombre restreint) seuls les intérêts assez puissants économiquement peuvent se permetttre d’avoir des canaux (y compris au niveau de la TNT).

2/ Un médium a des qualités spécifiques qui peuvent croiser les qualités d’un autre médium ou s’en distinguer. Ce qui implique qu’avant de condamner l’audio-visuel, il faudrait épistémologiquement comprendre les propriétés qui soustendent cette dimension d’expression.
3/ Le podcast, comme le vcast, appartient à une autre dimension que celle de l’univers télévisuel : aussi bien quant à la logique de production des contenus (qui repose majoritairement sur l’émergence de l’expression privée, telle que l’exprime Joël de Rosnay : passage “des mass média aux média de masses) que quant à leur diffusion, qui n’obéit pas à des canaux spécifiquement, mais à des plateformes, ce qui signifie que le flux podcasté est un segment de plateforme, et non pas un segment d’une séquence ininterrompue de diffusion.

Dès lors, avant de condamner pour médiocrité, il est nécessaire de réfléchir à l’usage qui peut être fait d’un médium qui a priori n’est pas surdéterminé par des intérêts économiques qui régissent par exemple le monde télévisuel.

Une émission de podcast ou de vcast n’est pas un format pensé tout d’abord pour une masse, il peut être librement élaboré par n’importe quelle personne. Ainsi, si on peut voir en effet des usages grégaires de ce type de diffusion, il est certain que le podcasting peut aussi être la plateforme d’émissions pertinentes, au caractère singulier.
C’est ce qu’entreprend par exemple le site criticalsecret. Le podcast n’a pas un format qui lui est préétabli, mais pour l’instant, il y a encore indétermination de toute forme de format, celui-ci dépendant de l’émergence de ses usages, et de l’ouverture et de l’invention des podcasteurs. C’est donc l’usage qui en est fait qui peut commander le jugement qu’on porte sur le podcast, et il n’y a pas de critères a priori quant à son usage. De même pour les blogs, c’est bel et bien son usage qui en détermine la propriété, et ce n’est pas la nature du blog qui détermine sa valeur. Le podcast ou le vcast, par le contenu qu’ils peuvent véhiculer, ne s’opposent pas à la textualité, mais tout au contraire apportent la spécificité de leur médium : son et image. Les techniques ne sont pas exclusives les unes des autres, mais chaque technique est un vecteur d’élaboration nouveau pour la capacité représentationnelle de l’homme. En ce sens, on ne vise pas la même élaboration de contenu entre l’écrit et le flux sonore ou vidéo. Ces flux doivent s’élaborer par une réflexion stricte sur ce qu’ils portent en eux. Le podcast permet d’associer des documents sonores au contenu.

Par exemple, si on travaille sur une chronique portant sur de la poésie sonore, le podcast permet de lier à l’analyse les traces réelles de ces expériences poétiques. De même, si on fait une chronique vcastée sur un discours politique, on peut soutenir cette analyse par le document dont on parle, ceci non selon une logique informationnelle télévisuelle, mais selon sa propre logique. De plus, alors que le médium télévisuel, pour ses diffusions, obéit à des grilles horaires, et demande une logique stricte et lourde de l’intervention du temps réel, par la démocratisation des technologies de l’information (enregistrement son ou image, transfert sur le Net) les podcast ou les vcast peuvent devenir des relais en temps réel d’une actualité qui se déroule. On se souvient, lors des manifestations altermondialistes de Gênes, des diffusions en temps réel des événements par Indymedia. De même se développent de plus en plus les processus de phoneblog, tel que, par exemple, le fait mémoire-vive.org.

Ce type d’intervention est spécifique au médium image/son, en tant qu’elle repose sur la diffusion de ce qui a lieu, et non pas sur la narration de ce qui a lieu.

Tout cela pour dire que dans un mouvement sans précédent de la démocratisation de l’expression publique, il est nécessaire de réfléchir, peut-être d’abord et avant tout, aux conditions de cette expression, en s’interrogeant sur les usages que nous faisons de ces médiums. Si l’article de Guillermo est de fait critiquable, il a cependant le mérite d’obliger à penser ce que sont nos pratiques, et ce que sont nos impensés par rapport aux technologies, que nous employons.

[article] La morale contre l’homosexualité

[article paru sur agoravox]
Depuis une semaine est relayé un appel signé par des élus UMP et UDF contre “l’adoption et le mariage de deux personnes du même sexe”. Comment juger leur démarche ?
Il vient d’être annoncé que 174 maires de droite adhèrent à l’idée qu’il faut interdire moralement, d’abord, et ensuite juridiquement, c’est entendu, “le mariage et l’adoption par deux personnes du même sexe”. Parmi les élus qui ont adhéré à cette déclaration, on retrouve, comme l’indique Marianne : “Patrick Balkany, député-maire de Levallois-Perret, Christine Boutin, députée des Yvelines, Etienne Pinte, député-maire de Versailles, Georges Tron, député-maire de Draveil (Essonne) et proche de Dominique de Villepin, Pierre-Chritian Taittinger, maire du XVIe arrondissement de Paris, ainsi que les maires de Béziers, Raymond Couderc, de Roanne, Yves Nicolin, de Valenciennes, Dominique Riquet, de Colmar, Gilbert Mayer, de Rouen, Pierre Albertini, et de Dieppe, Edouard Leveau”.

Cette pétition est elle-même relayée par Les associations familiales catholiques de Bretagne et par Les jeunes catholiques nantais. On le perçoit, et ceci n’est pas un secret quand on voit l’usage que le président de l’UMP fait du spam ou bien du videopodcast, il y a, de la part d’une frange réactionnaire quant au droit de l’individu, une mobilisation qui dépasse le cadre classique qui se polarise au niveau géographique, pour se développer et se répandre au niveau de la dimension web et sites d’actualités. Signalons que ces sites sont directement accessibles par Google actualité. Ainsi, il ne suffit pas de dire, comme Bayrou, qu’il est seulement critique du manifeste. Car là aussi est posée une certaine définition de la conformité.

Au-delà de la fixation sur le pouvoir et sa suprématie, c’est au niveau de la population elle-même que se fixent et se diffusent des idéologies qui veulent une moralisation politique, à partir d’une définition de l’humanité qui duplique leur propre identité.

Mais qu’est-ce qui se cache derrière ce déni de la légalisation/légitimation du mariage homosexuel et de l’homoparentalité ? Comme le rappelle Foucault dans le tome 1 de L’histoire de la sexualité, le caractère de normalisation de la sexualité au niveau de l’hétérosexualité est un mouvement moderne (XVIIIe et XIXe siècles) qui a, suivant une logique d’énonciation, discriminé toute autre forme de sexualité. Ceci provient du passage à une définition scientiste – qui est lentement devenue essentialiste – de l’homme et de ses rapports. Au XIXe siècle, le couple hétérosexuel est devenu légitime, et est passé sous silence, en faveur d’une concentration discursive sur les autres sexualités. “Mouvement centrifuge par rapport à la monogamie hétérosexuelle” […] Le couple légitime, avec sa sexualité régulière, a droit à plus de discrétion. Il tend à fonctionner comme une norme, plus rigoureuse peut-être, mais plus sielncieuse. En revanche ce qu’on interroge […] c’est le plaisir de ceux qui n’aiment pas l’autre sexe”. Ceci conduit Foucault à comprendre que l’interdit de l’homosexualité se fonde dans cette époque contemporaine à partir de la définition biologique des rapports humains, amenant que ce qui est invoqué tient à l’ordre d’une perturbation (du sang, principe d’impureté, qu’il relie avec la question du nazisme à la fin du tome 1) par rapport à la norme, définie selon une illusoire scientificité.

C’est ce qui se retrouve parfaitement dans les énoncés homophobes de Christian Vanneste (qui sera jugé le 24 janvier à partir de la plainte déposée par ActUp Paris, SOS Homophobie et le SNEG), au sens où il peut dire que “le comportement homosexuel est un danger pour l’humanité” car “la vie, c’est l’ordre et la hiérarchie des comportements”. Or, est-ce que l’homme, justement, dépend a priori d’une essence biologique ? Est-ce que justement, il n’est pas, pour reprendre la terminologie de Sartre, l’être pour qui “l’existence précède l’essence”, à savoir un être qui se pose dans le choix et dans la possibilité de la liberté de ses désirs ?

C’est pour cela qu’il est important que des réactions se fassent entendre, que cela soit celle de Tetu ou bien celle du PS et des Verts, afin de poser la nécessité d’une réflexion sur l’existence des hommes prise dans sa singularité, et non pas selon des normes illusoires définies a priori.

[article d’actualité] Délit de blog

[article publié sur agoravox]
Un proviseur de l’Education nationale vient d’être révoqué pour diffusion pornographique sur son blog. Mais le caractère pornographique est-il justifié ? Qu’est-ce qui implique une telle sanction ? Quels sont ses fondements d’une telle décision ?

La nouvelle vient de tomber, un proviseur, inquiété pour son blog, vient d’être révoqué de la fonction publique, ne pouvant plus dès lors exercer au sein du corps des fonctionnaires. Mais avant d’analyser plus précisément ce qui lui est reproché, voyons dans un premier temps le traitement de l’information : Le nouvel Observateur dit d’emblée que ce proviseur est révoqué pour avoir affiché son homosexualité sur son blog. Cela devait donc être rudement choquant, Le nouvel obs n’en dit pas plus, mais en fait le laisse supposer dans son titre. C’est dans Le Figaro qu’on y voit un peu plus clair, puisque le quotidien expose ce qui a été incriminé pour qu’il y ait une telle révocation : des photographies non explicitement délictueuses (une d’un corps lascif allongé, dont le sexe n’est pas montré, ou encore une photographie où des hommes sont en sous-vêtement, comme le précise l’accusé, rien de plus que ce qu’on peut voir dans n’importe quel catalogue de VPC)

En ce qui concerne les textes, d’après Le Figaro, les écrits tiennent certes d’une certaine intimité, mais ne dérogeraient guère à la bienséance. Or, pour le ministère les « photos et écrits <étaient> à caractère pornographique ». « Ce comportement est incompatible avec l’exercice de la responsabilité d’un chef d’établissement », déclare Paul Desneuf, directeur de l’encadrement du ministère. Ce qui semble davantage en fait nourrir cette révocation viendrait de ce que sur ce blog, qui était anonyme, ce proviseur réfléchissait aussi à sa fonction, à son rôle, mettait en évidence certains de ces doutes au sujet de son travail. Et c’est bien le mélange des genres qui paraît fonder cette sanction administrative. Pourtant, le 21 avril, l’accusé Garfieldd, de son pseudo, se posait cette question sur son blog, à la suite d’un email anonyme : « Le fait que j’occupe des fonctions perçues au niveau local ou dans le microcosme professionnel comme importantes doit-il me conduire à me censurer, à me contraindre, à me restreindre, à m’étouffer sous le poids des convenances ? », et il disait pour lui-même que justement, il ne dit et ne dirait que de façons allusives ce qui le caractérise sexuellement : « Dès le départ, il a été clair que je resterais allusif sur des thèmes qui relèvent des pratiques sexuelles. Je ne juge aucun de ceux qui racontent tout… Je ne me sens pas agressé ou choqué quand je tombe sur des blogs explicites. Mais c’est pas moi. » (source : la copie du blog retiré, qui était garfield.com : BlogAPart).

Lorsqu’on lit son blog, il est évident que, pour tout contenu pornographique, on ne trouve que la référence faite à son homosexualité, qu’il ne cache point, mais sur laquelle il s’interroge. Nulle description oiseuse ou perverse, nulle référence sexuelle explicite. La pornographie tiendrait-elle alors à l’aveu d’une sexualité qui n’est aucunement répréhensible, et qui est même protégée par la loi de toute insulte ou discrimination ? Par contre, même s’il cache son académie de rattachement et le nom de son lycée (et même, visiblement, il se localise dans une autre académie, puisqu’il parle de l’académie de Rouen), il est évident qu’il décrit de l’intérieur, dans deux catégories distinctes, sa fonction, et avec humour il développe parfois (c’est le cas de la catégorie Marcel gentil intendant) une description de ses subordonnés. Or, ce n’est pas pour cette raison qu’il est révoqué, mais pour diffusion à caractère pornographique. Alors, pourquoi y a-t-il faute ? Est-ce à dire que la censure est rétablie, non pas de droit, selon un édit, mais dans les faits ? Tout d’abord, précisons que les blogs, de plus en plus, se donnent à lire comme des journaux intimes, qui allient à la fois le témoignage et la fiction, la pensée personnelle et la pensée générale. Ils ne sont pas de l’ordre de la pure objectivité, mais par leur logique interne d’écriture, ils impliquent une invention de soi.

Ce qui est dit est ensuite discuté par des lecteurs potentiels (ou bien non lu), ce qui permet un partage derrière une certaine forme d’anonymat. Alors que le journal intime appartenait géolocalement au monde proche de celui qui écrivait, grâce à la dimension spécifique du web, il n’y a plus de géolocalisation du partage, celui-ci se détermine par rassemblement selon des affinités partagées (ce que décrit d’ailleurs Garfieldd lorsqu’il analyse son rapport au blog). C’est pourquoi le blog est à la fois lieu secret et lieu ouvert à tous les regards, alors que le journal intime pouvait, par son caractère matériel, prétendre au secret absolu.

La censure, telle que la définissait Rousseau, dans Du contrat social, repose sur la possibilité de garantir l’intégrité de la morale des mœurs (chap. III, liv. IV), et comme on le sait, la république fondée par Rousseau se doit d’être l’incarnation politique d’une volonté générale, fondée sur un devoir de raison, et pour les sujets, un devoir-être moral. En ce sens, Rousseau, loin de penser la démocratie au niveau politique, la répudie comme impropre aux hommes, ceux-ci ne pouvant pas en effet, du fait de leurs passions et de leurs désirs, être laissés à eux-mêmes, ceux-ci devant accepter de plier leur intérêt propre et leur expression en faveur de l’intérêt de la volonté générale, avec ce qu’elle accepte au niveau de l’expression publique.

On voit alors toute l’ambiguïté du blog : il est à la fois une expression personnelle publiée d’un point de vue privé et l’acceptation plus ou moins consciente d’appartenir au plan général de la publicité : il est une publication. Cependant, en cette heure de spectacularisation mondiale aussi bien de la violence que de la sexualité, spectacularisation se donnant, comme l’exprimait Baudrillard, en tant que pornographie, n’est-il pas évident qu’il y aurait une aberration dans la décision prise par l’éducation nationale, s’il est vrai que les contenus ne sont pas plus sensationnels que ceux qu’on peut constater ? Est-ce que le développement exponentiel des blogs et la nature de leur expression n’impliquent pas de rompre avec une morale politique imposant de convenir à un devoir-être, mais plutôt demande une autre forme d’approche, peut-être même quant à leur nature ?

Je précisais que les blogs sont pour beaucoup de lieux d’expression de l’intimité croisant la fiction et l’objectivité, s’inscrivant selon leur effort biographique, selon une logique souvent ego-fictionnelle (celle-ci renforcée par les pseudos, la jonction image/texte). Ils permetttent une énonciation de soi, non médiatisée par le prisme d’un tiers objectif, comme c’est le cas avec le psychanalyste, mais par la lecture potentielle de l’autre anonyme, qu’on est d’abord et avant tout pour soi-même. Et il est évident que dans cette expression, il y a un travail de l’imagination. Ils sont donc projection de soi, qui permet une certaine forme de décharge aussi bien nerveuse que libidinale. Au lieu de les considérer selon le statut d’une publication publique, comme la diffusion d’un tract, ou bien encore selon des catégories qui ne conviennent pas, ne faudrait-il pas penser les blogs selon la forme de nécessité que leur ont donné leurs usagers : lieu semi-privé/semi-public, qui permet de créer des sortes de micro-tribus, où la psyché peut trouver une certaine forme d’équilibre ? Ainsi, contre Rousseau et sa volonté de censure, et davantage en rapport avec Spinoza qui prônait la nécessité de la liberté de l’expression publique dans une démocratie (Traité théologico-politique, chap.XX), ne devrait-on pas garantir spécifiquement certaines formes d’expression comme le blog, comme on le fait pour les romans ou bien les poésies qui peuvent décrire l’abominable sans que l’écrivain en soit inquiété, même s’il appartient à l’éducation nationale (tel Pogrom, d’Eric Benier Burckel, qui a suscité de nombreux remous lors de sa sortie). Est-ce que le blog n’impose pas ainsi de réfléchir sur son mode d’expression et sur ses statuts juridiques, en tant qu’effectivement, il apparaît comme une nouvelle forme d’écriture et de participation à l’autre qui n’avait pas lieu avant lui, ou en tout cas n’était pas aussi démocratisée ? En tant qu’il tendrait par son usage à garantir de plus en plus une parole des multitudes, de telle sorte qu’il participerait à une certaine forme de démocratie médiatique ?

[article d’actualité] Perben et le sexe : une ère d’Orange Mécanique

[ce texte a été publié sur le site Hermaphrodite] La décision de la castration thérapeutique, même volontaire, entre en écho avec Orange mécanique d’Anthony Burgess.
En lançant le programme test de thérapie des délinquants sexuels, M. Perben semblerait mettre tous les moyens pour enrayer ce mal, qui entraînent que plus de 20% des détenus, le soient pour ce genre de délits. Ainsi, peut-être, voyons-nous apparaître par cette légalisation, la possible fin de ce mal, et ceci, semblerait-il, concorderait avec l’opinion publique, trouvant dans l’ensemble légitime que l’on puisse soumettre un détenu à ce genre de traitement. Cependant, alors que médiatiquement cela apparaît comme nouveau, ici, il est nécessaire de dire, que ce type de pratique avait déjà cours auparavant en France, au sens où des médicaments tels l’Androcur, le Decapeptyl ou encore l’Enantone, étaient déjà utilisés pour les mêmes causes, sans que cela soit dit, ou bien sont déjà prescrits pour les mêmes raisons dans certains pays comme le Canada.

Toutefois, avant d’applaudir avec force à une telle perspective, nous ne pouvons ignorer ce qu’a pu développer dans Orange mécanique Anthony Burgess, roman qui en 1971 fut mis en image par Stanley Kubrick. En effet, Clockwork Orange, s’il a marqué par son ultra-violence, hétérogène de fait avec les idéologies des années soixante puis du début des années soixante-dix, ne porte pas à proprement parlé sur cette seule question de l’émergence des comportements tribaux d’adolescents dans une société spectaculaire et de consommation en proie au nihilisme (fin de toutes les valeurs). Mais il est un film qui s’interroge, tout d’abord, sur la question de la nature du crime et de son possible règlement au niveau social. C’est en ce sens que Burgess établit trois directions du traitement du criminel, qui chacune à leur tout en arrive à un échec. Le traitement qui nous intéresse ici, est celui qui va toucher le jeune narrateur, Alex. En effet, face à l’échec de la logique d’incarcération (au sens où il commet un crime en prison, ce qui est absent du film), suite à la découverte d’un médecin, docteur Ludovico, il va être soumis à un test clinique de castration chimique de ses pulsions. Ce qui n’est autre que ce qui est proposé par le projet de légalisation de ces pratiques par M. Perben. Or, si cette thérapie apparaît d’emblée enthousiasmante, du fait que nous voyons Alex, adepte de l’ultra-violence, ne pouvoir plus du tout témoigner d’agressivité, incapable de commettre toute forme d’agression, une question est posée lors de la mise en scène qui expose les résultats du traitement. Cette question, est énoncée par le pasteur de la prison : que faisons-nous de la liberté ? Est-ce que l’homme peut seulement être considéré comme une mécanique, que nous pourrions contrôler selon des principes scientifiques et donc déterministes ? La réponse que fournit Burgess, apparaît par la suite : le traitement s’il est efficace, cependant a agi en venant sacrifier tout une part de la sensibilité d’Alex, celui-ci ne pouvant plus écouter Beethoven, cette musique ayant été associée au traitement. Burgess montre ensuite en quel sens la société ne peut se permettre d’opérer ainsi l’homme, celui-ci perdant sa liberté, devenant par là même manipulable. C’est pourquoi il indique que loin de castrer l’individu, une société se doit d’abord de comprendre en quel sens par nature, il peut avoir ce type de comportement. C’était là, pour lui sincère d’énoncer cela, au sens, où cette histoire qu’il raconte, n’est autre que la transposition de sa réflexion sur les délinquants qui violèrent et tuèrent sa femme quelques années auparavant.
Ainsi, nous le percevons, derrière cette lutte contre la délinquance sexuelle, nous voyons apparaître, une nouvelle étape de la logique biopolitique propre aux Etats du XXème siècle comme pouvait l’énoncer Foucault dans ses analyses aussi bien de la folie que de la sexualité. Logique biopolitique, au sens où le contrôle du pouvoir ne se porte pas d’abord et avant tout sur le sens, et donc ne vise pas l’intelligence, mais se constitue selon des procédures de contrôle aussi bien corporel que biologique. Cette nouvelle étape cependant s’inscrit dans un cadre plus large, que l’on pourrait analyser aussi bien outre-atlantique qu’au niveau de l’Europe. En effet, il n’y a qu’à voir les progrès de la lutte contre le tabagisme, le tabagisme passif, mais aussi peu à peu la condamnation plus ou moins explicite de la consommation d’alcool ou encore de toute autre pratique néfaste au corps. De plus en plus, toute pratique pouvant être plus ou moins toxique se voit mise au chapitre, dénoncée et rejetée comme forme d’aliénation. Comme forme d’inauthenticité de notre être, celui-ci devant respecter le plus possible ce que la science appelle les normes de la santé, qui seraient sensées établir la vérité de l’existence humaine. Cela sans que jamais soient interrogés les rapports entre pratique et champ social, ou encore les justifications qui sous-tendent les choix de tels comportements. Ainsi, par ce progrès de l’hygiène publique, apparaît un retournement par rapport à la question de la liberté humaine, le cadre politique déterminant de plus en plus ce qu’on appelle l’existence selon des règles déterministes héritées de l’objectivité scientifique, en les adaptant au niveau du politique. La morale ne serait plus métaphysique ou encore fondée sur une raison pratique au sens de Kant, mais scientifiquement produite. Le politique devient le champ de légalisation et d’incarnation de ce déterminisme. Alors que la philosophie occidentale a tenté pendant plus de deux mille ans d’établir la liberté humaine, celle-ci justement reposant toujours sur la possibilité de l’erreur (Rousseau), du mal (Sade), de l’aventure de l’existence (Nietzsche), sur le fait que, tel que l’énonçait Sartre, « l’existence précède l’essence » de notre humanité, et donc que la liberté tienne à l’élan spontané et réfléchi de notre vécu, nous nous apercevons que la politique actuellement – soutenue par une logique que l’on ne peut appeler proprement que de scientiste – en vient à constituer l’homme à la mesure d’analyses déterministes et de lois cliniques. La liberté de l’existence étant reléguée à l’erreur ou bien l’errance si elle ne concorde pas avec les normes de la santé publique.
Dès lors, certes il n’y a pas à en douter, la thérapie inaugurée par M. Perben sera bien efficace, de même que toute forme de contrôle biopolitique, qu’il fonctionne médicalement ou bien encore technologiquement, par la surveillance omniprésente des espaces publics et peu à peu privés, toutefois, que restera-t-il de notre liberté, de notre capacité à choisir en connaissance de cause, à choisir y compris ce qui pourrait nous être néfaste biologiquement ou existentiellement ? Est-ce que toute existence choisissant une voie parallèle ou bien contraire aux normes ainsi impliquées sera dite dégénérée et soumise à la loi et à un traitement tout d’abord juridique puis médical ?

[article] Lissez les couleurs ! de Joël Hubaut

[article publié sur Le Littéraire]
De 1997 à 1999, Joël Hubaut a écrit un long poème, Put-Put, dont chaque vers commence par “je voudrais”. Plus que d’insister spécifiquement sur le caractère de liste de cette longue incantation du devenir du corps, ce qui ressort surtout de ce texte, de cette agglomération, c’est la porosité du corps aux choses, l’incubation du monde dans le corps, faisant du corps le potentiel d’un monde qui est arraché à sa propre logique de construction, pour en obtenir un autre. En effet, ce Put-Put, appartient à la section EpidemiK de Hubaut, où le corps loin de se prôner l’indemne, sauf de toute contagion, est pénétré par les mille bribes clignotantes et aliénantes de ce qui l’entoure. Corps spongieux, aux pores ébahis et ébaudis des objets amoncelés par la logique de production, corps éventré et aspirant les remugles consuméristes des industries humaines produisant en masse les biens aliénant de l’humanité, qui viennent dans la pensée et la gorge s’agglutiner.

Ce long poème ayant traversé dans son écriture le temps, est ainsi la trace d’un devenir dispositif du corps, pour reprendre Deleuze et Guattari – Hubaut ayant travaillé avec ce dernier – d’un devenir machine de l’avènement au monde de la corporéité. je voudrais voir avec mes genoux, avec mon anus, avec mes talons, avec mes gencives, je voudrais des yeux au fond de la bouche, des yeux dans le pancréas dans les intestins, je voudrais des yeux multi-block, des yeux consoles, des yeux-télécommandes, (…) je voudrais périscoper, camératiser, pixelliser, virtualiser (janvier 1997) Devenir machine qui est une réforme, c’est-à-dire une révolte, contre la logique de configuration qui lui a été imposée par l’ordre extérieur, et dont le corps ne peut que se démettre. Devenir machine, qui n’est pas de détruire toute organicité, mais de refondre par l’acte d’une dissolution corporelle tout agencement des organes du corps, pour se refaire un corps nouveau. C’est ainsi que le travail de Hubaut que cela soit dans Put-Put, EpidemiK, Le rabbit semiotiK, dans Clom, à chaque fois semble correspondre à la pragmatique mise en évidence par les deux auteurs de Mille plateaux :
1/ étude de la générativité des signes produits dans le monde, 2/ étude des transformations productions des régimes de signes produits. 3/ étude des dispositifs (diagrammes) potentiels qui pourront s’appliquer sur des corps ; 4/ étude des machines abstraites formées qui ordonnent et répartissent les possibles réels (Mille Plateaux, p.182).

Hubaut construit en ce sens depuis 30 ans la machine immanente de son existence-corps à partir de l’expérience des signes qui tissent la réalité. C’est dans cette perspective, que chez lui, la couleur a pris une importance essentielle, en tant que derrière son accidentalité ontologique, elle s’est bien évidemment constituée comme l’un des critères de discrimination et d’agencement fondamental. Ce qu’il a parfaitement mis en évidence à travers le regard qu’il porte sur la Shoah ou encore sur la constitution des identités nationales à l’aide des drapeaux, des fanions ! Lissez les couleurs ! à ras l’fanion s’inscrit dans cet horizon de recherche, et travaille une nouvelle fois sur la question de la nouvelle configuration des signes à partir du corps. Toutefois, alors que dans Clomix, par exemple, qui date de 2000-2001, il travaillait sur des machines-objets, des configurations d’objets de même couleurs, là, le travail est celui d’un nouvel agencement de la langue, qui apparaît reprendre les quatre étapes que nous avons indiqué à partir de Deleuze et de Guattari.

Tout commence par une impossibilité à commencer par la langue, une impossibilité de la langue à dire, à gicler de la bouche autrement que par le moule qui lui a été incubé, inculqué, imposé par l’extériorité politique et religieuse. Tout commence par l’impossible commencement d’une langue dont on a hérité, et qui parle déjà alors que l’on n’a pas commencé à parler, que l’on n’a pas encore réussi à dire les mots coincés au fond de la bouche, collés à la gorge, collés et rentrés, enfoncés par la chair sémiotique produite par l’extériorité. Ça fait des nœuds dans la bouche qui s’expanse et ça fait des nœuds et ça fait des nœuds dans la bouche et quelques fois les nœuds bouchent la bouche qui s’expanse. Tout commence par la mise en évidence, au cours de cette impossibilité à dire, de l’origine des signes, de cette chair projetée au-dedans de la gorge, engorgée dans la bouche, la matrice à parler invaginée du moule institué par les forces qui lui sont extérieures. Tout commence par cette impossibilité des signes propres, car voulant dire proprement ce qui est à dire, la langue se coince dans le moule de la normalisation linguistique qui lui a été ancrée. Ici, Hubaut fait œuvre d’une véritable réflexion poétique sur le langage et se pose à distance de toute forme idiolectale au sens de la recherche d’Artaud ou encore de la définition de Barthes : la langue immédiatement s’empêtre toujours, revendiquant son autonomie et son (au/on)to-génèse, sa pureté, dans les préstructurations sémiotiques de la langue publique, de la langue déjà constituée : les mots qui devraient glisser dans l’sens de la sortie vers le trou d’la bouche pour démouler la langue pourraient s’coincer dans l’coin du trou et ça ferait gonfler tout l’bord de la bouche qui bloquerait la langue dans le moule au moment où justement la langue devrait pouvoir sortir sans problème pour expulser les mots du trou bloqué à l’intérieur du trou du moule.

C’est que tel qu’il le montre, nous sommes pris dans le moule de la langue normalisée, qui est posée, en sa structure et ses renvois, comme orthotes, droite, mât, pour le dire idéologique de notre champ d’appartenance. C’est que la langue devant être dite, doit toujours respectée la règle, se tracer rectiligne, à la ligne, ponctuée comme il le faut, étouffée comme il le faut dans la loi syntaxique qui dispose dans le bon ordre (politique ou religieux) les mots de la bouche. Mettant ainsi en évidence les structurations et leurs principes, il établit en parallèle la critique : il assole (Kierkegaard), déterritorialise (Deleuze/Guattari) la langue pour tenter de la remettre dans le vide d’une autre possibilité du dire. Se débattant dans la langue, il s’en distingue, montrant à quel point sont constituées les lois d’agencement des renvois de sens et de significations, bien évidemment il s’en désoumet, il s’en extrait par la constitution lente du plan d’une autre consistance du dire. Ainsi, s’il dit que l’homme colle ses yeux dans le moulage et quand ses yeux sont collés dans le moule de la vision l’homme ne voit que le moule de l’uniformisation de la masse de l’homme moulé à la louche, en explicitant ainsi immédiatement la mainmise de l’uniformisation par le moule idéologique de la langue, sa langue commence à s’en décoller, à produire les perturbations qui pourront peu à peu produire un autre agencement sémiotique, une autre ligne du dire.

Ce glissement vers un plan de constitution propre des agencements, liaison de sens, se détermine peu à peu tout au long de Lissez les couleurs ! Le livre étant justement ce lent glissement. Ici malheureusement, nous ne pouvons rendre la lecture qui accompagne sur un CD-audio le texte, mais l’ensemble de ce travail sonore mixé en live par Patrick Müller, rend bien la contorsion nécessaire à déboîter les agencements qui moulent tout effort de la langue lorsqu’elle tente de dire. Le glissement conduit à une accidentalité sémiotique de la langue qui vient contre-investir toute manipulation de la langue. C’est précisément là que se joue la venue d’un autre plan de consistance de la langue. Ce contre-plan cependant ne vient pas revendiquer une vérité ou une pureté de la langue, à savoir ne se veut pas la position identitaire d’une vérité ontologique de la langue, mais tout à l’inverse, (se) montre, par un jeu sur soi, en quel sens la langue est une ligne de fuite immanente et accidentée, qui se combine dans le jeu de reflet entre putréfaction et structuration linguistique : é on brourre leyau vec les brouts d’moules de l’adorate dé brouts d’coules dra la dé ron rebodu l’yauuts d’saupar pe ka brouche ki ran quotelé brouts d’tauces.

Le geste qui conduit au plan d’immanence de la langue d’aucune façon ne peut se produire comme la réification d’une volonté de pureté de soi. Non, car Hubaut l’a bien compris depuis longtemps par son travail plastique, par ses agglomérats épidémiques dans les villes, dans les expositions, les lignes de fuite, celles qui mènent à la singularité, ne sont pas issues de matérialités auto-générées, mais se constituent dans un rapport constant avec la matérialité déjà constituée par la langue du pouvoir. Mais ce que le pouvoir ne voit pas, l’excès possible du sens de ce qu’il institue, c’est ce à partir de quoi plastiquement ou linguistiquement, il faut partir. Horizon, à n’en point douter du poète-plasticien Duchamp. Le plan d’immanence est ainsi non pas le plan de la composition de machines, mais de la variation abstraite de tout renvoi réel de la langue, qui se donne dans des figures passagères, dans des configurations diaboliques car diagrammatiques, court-circuitant toute emprise grammatique ou symbolique. Ce passage du livre de Hubaut, ce solve-coagula éphémère, à entendre en soi, est source de tous les possibles, tout s’y dit en quelques échos, tout s’y compose selon le rythme incessant de la rocaille non encore fixée en une composition reconnaissable.

Et c’est dans ce tourbillon, cette explosion des syntagmes et des syntaxes, que justement renaît la machine linguistique de Hubaut, que peut apparaître l’autre machine, l’autre machination de la langue que celle moulée par les pouvoirs hégémoniques qui forgent le moule de la représentation du monde. La fin du livre expose les composantes nouvelles de la machine langue possible après la dissolution, déglutition : quand ta bouche a bien dégueulé ta langue démoulée tu peux prendre enfin la parole et la parole qui jaillit de ta bouche est comme une nouvelle langue merdeuse hors du moule. Cette nouvelle langue est bien évidemment merdeuse, sans aucune pureté, car ontologiquement aucune langue ne peut être la pure langue spirituelle de soi, d’un Je inaliéné, d’un Je exempté d’avoir échoué dès son origine dans un monde. Comme ses machines plastiques sont composées des mille objets collectés dans le résiduel de la société de consommation, cette langue est merdeuse, composée de la digestion publique des composantes linguistiques, mais elle est nouvelle car elle se bâtit dans la contingence d’un être-au-monde, qui n’est pas en son énonciation arrimé aux tables de la loi des pouvoirs politiques ou religieux. Nouvelle car giclant selon le tempo d’ouverture aléatoire de cette chair singulière appelée Hubaut !

[article d’actualité] Liberté liberté chérie (d’une logique de l’espace carcéral)

[article paru sur le site Hermaphrodite]
Et si Sarkozy faisait des émules ? Analyse de la décision de créer des citoyens relais de la part du commisariat de Douai (Nord – Pas-de-Calais).
Alors que sort le livre Liberté liberté Chérie de Sabine Hérold et Édouard Fillias, qui est certainement une reprise abusive du titre du livre de Pierre-Mendès France, le commissaire de Douai, se met en devoir de mettre en acte cette dite liberté en instituant des citoyens relais, qui permettront d’en garantir la pérennité.
Que sont-ils ? Ce sont des volontaires de la vie civile, qui recrutés, seront là pour renseigner les services de police sur les incidents qu’ils peuvent constater.

La première remarque qui est évidente : en quel sens peut-il y avoir une légitimité pour des citoyens, non formés, non tenus par le statut de fonctionnaires d’Etat, de devenir des organes de la police, ne serait-ce qu’au titre du renseignement. En effet, alors que pour les renseignements généraux ou bien la police, l’action ne se déroule pas en relation avec leur milieu d’appartenance (famille, voisinage, entreprise, etc…) là tout au contraire, ces citoyens relais seront d’abord et avant tout des observateurs de leur milieu d’appartenance, des agents de renseignement cachés. Or, n’est-ce pas là le début de la suspicion généralisée ? N’est-ce pas là une dérive que nous avons pu constater par exemple en Allemagne de l’Est, du temps du mur de l’infiltration de la Stasi, lorsqu’une partie de la population travaillait pour l’Etat et à la surveillance de ses proches ? Ou bien encore ce à quoi encourageait le pouvoir Vichyste en France ? Cela pose la question, non seulement de la compétence, mais aussi de la séparation entre la vie publique et les fonctions d’Etat ? Qu’est-ce qui garantira qu’un citoyen relais ne dénonce pas son voisin du fait d’un conflit personnel, ou encore d’un conflit d’intérêt ? Ce citoyen relais n’aura-t-il pas d’un coup cette position paradoxale de pouvoir être juge et partie, ce qui est totalement interdit au niveau judiciaire, où il ne peut y avoir, que cela soit pour un enquêteur ou bien un juge, de conflits d’intérêt au niveau des affaires qu’ils traitent ?
La seconde remarque,est sur la dérive sécuritaire. En effet, est-ce le fait de vivre de vraies violences qui amène à en venir à une attitude sécuritaire, ou bien, est-ce le fantasme de la représentation qui y conduit. Castoriadis l’a bien analysée, une représentation sociale ne naît pas d’abord et avant tout des faits objectifs, mais de l’imaginaire qui produit une réalité. Imaginaire relayé, voire produit comme on l’a dit lors des dernières présidentielles françaises, par les médias. Le fait de constituer ces citoyens relais témoignent d’une méfiance accentuée face aux possibles survenues de violence ou de délits, mettant en suspens de fait peu à peu le lien social immédiat entre les individus, et introduisant une défiance progressive des citoyens entre eux. Il y a ici inversion de la cause et de l’effet, du fait que normalement ce à quoi on devrait inviter c’est d’abord et avant tout à une participation active au lien social, or là le lien social est d’emblée effacé par la constitution du citoyen relais, qui est posé comme surveillance au vue de potentielles malveillance, et non pas selon une logique de bienveillance. Effectivement, le lien social ne peut se bâtir selon la logique de la suspicion, car cela renvoie comme l’a parfaitement analysé Michel Foucault dans Surveiller et Punir, à l’actualisation d’un espace de pleine visibilité policière, et de mise en avant du lien social comme obéissance dans la peur de la dénonciation. Ici, on le comprend, la sollicitation du citoyen relais doit permettre la réalisation d’un panopticum, espace de visibilité absolue abolissant la distinction vie privée/vie publique, du fait qu’en nul endroit, le citoyen pourra être à l’abri de ces observations. Bienvenu en 2004, George Orwell a devancé de vingt ans par sa prophétie la réalité de Big Brother.

Ainsi, apparaît que pour garantir la liberté, cette liberté chérie revendiquée, ce qui a lieu c’est un travail de surveillance et d’aliénation sociale. Étrange procédé, qu’en son temps Blanchot avait thématisé dans son roman Le Très-haut, montrant en quel sens une telle intégration de l’Etat et de sa surveillance dans l’individu, conduisait irrémédiablement le personnage central, M. Sorge, à dépérir, à se renfermer, à la maladie, ne pouvant plus supporter d’être ainsi un organe de l’Etat. Il n’est pas à douter que de tels renforcements de la surveillance, loin de conduire à la concorde sociale, crée plus d’exaspération que de calme. Au sens, où elle vient s’insérer dans une logique toujours plus puissante du contrôle de l’individu par la loi et ses prérogatives. Liberté Liberté chérie, exprimait la nécessité de la liberté pour Mendès-France face aux abominations totalitaires de ce siècle, étrange retournement peu à peu, où en guise de liberté on ne propose plus lentement que l’espace carcéral pour le singulier.

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