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[article d’actualité] Délit de blog

[article publié sur agoravox]
Un proviseur de l’Education nationale vient d’être révoqué pour diffusion pornographique sur son blog. Mais le caractère pornographique est-il justifié ? Qu’est-ce qui implique une telle sanction ? Quels sont ses fondements d’une telle décision ?

La nouvelle vient de tomber, un proviseur, inquiété pour son blog, vient d’être révoqué de la fonction publique, ne pouvant plus dès lors exercer au sein du corps des fonctionnaires. Mais avant d’analyser plus précisément ce qui lui est reproché, voyons dans un premier temps le traitement de l’information : Le nouvel Observateur dit d’emblée que ce proviseur est révoqué pour avoir affiché son homosexualité sur son blog. Cela devait donc être rudement choquant, Le nouvel obs n’en dit pas plus, mais en fait le laisse supposer dans son titre. C’est dans Le Figaro qu’on y voit un peu plus clair, puisque le quotidien expose ce qui a été incriminé pour qu’il y ait une telle révocation : des photographies non explicitement délictueuses (une d’un corps lascif allongé, dont le sexe n’est pas montré, ou encore une photographie où des hommes sont en sous-vêtement, comme le précise l’accusé, rien de plus que ce qu’on peut voir dans n’importe quel catalogue de VPC)

En ce qui concerne les textes, d’après Le Figaro, les écrits tiennent certes d’une certaine intimité, mais ne dérogeraient guère à la bienséance. Or, pour le ministère les « photos et écrits <étaient> à caractère pornographique ». « Ce comportement est incompatible avec l’exercice de la responsabilité d’un chef d’établissement », déclare Paul Desneuf, directeur de l’encadrement du ministère. Ce qui semble davantage en fait nourrir cette révocation viendrait de ce que sur ce blog, qui était anonyme, ce proviseur réfléchissait aussi à sa fonction, à son rôle, mettait en évidence certains de ces doutes au sujet de son travail. Et c’est bien le mélange des genres qui paraît fonder cette sanction administrative. Pourtant, le 21 avril, l’accusé Garfieldd, de son pseudo, se posait cette question sur son blog, à la suite d’un email anonyme : « Le fait que j’occupe des fonctions perçues au niveau local ou dans le microcosme professionnel comme importantes doit-il me conduire à me censurer, à me contraindre, à me restreindre, à m’étouffer sous le poids des convenances ? », et il disait pour lui-même que justement, il ne dit et ne dirait que de façons allusives ce qui le caractérise sexuellement : « Dès le départ, il a été clair que je resterais allusif sur des thèmes qui relèvent des pratiques sexuelles. Je ne juge aucun de ceux qui racontent tout… Je ne me sens pas agressé ou choqué quand je tombe sur des blogs explicites. Mais c’est pas moi. » (source : la copie du blog retiré, qui était garfield.com : BlogAPart).

Lorsqu’on lit son blog, il est évident que, pour tout contenu pornographique, on ne trouve que la référence faite à son homosexualité, qu’il ne cache point, mais sur laquelle il s’interroge. Nulle description oiseuse ou perverse, nulle référence sexuelle explicite. La pornographie tiendrait-elle alors à l’aveu d’une sexualité qui n’est aucunement répréhensible, et qui est même protégée par la loi de toute insulte ou discrimination ? Par contre, même s’il cache son académie de rattachement et le nom de son lycée (et même, visiblement, il se localise dans une autre académie, puisqu’il parle de l’académie de Rouen), il est évident qu’il décrit de l’intérieur, dans deux catégories distinctes, sa fonction, et avec humour il développe parfois (c’est le cas de la catégorie Marcel gentil intendant) une description de ses subordonnés. Or, ce n’est pas pour cette raison qu’il est révoqué, mais pour diffusion à caractère pornographique. Alors, pourquoi y a-t-il faute ? Est-ce à dire que la censure est rétablie, non pas de droit, selon un édit, mais dans les faits ? Tout d’abord, précisons que les blogs, de plus en plus, se donnent à lire comme des journaux intimes, qui allient à la fois le témoignage et la fiction, la pensée personnelle et la pensée générale. Ils ne sont pas de l’ordre de la pure objectivité, mais par leur logique interne d’écriture, ils impliquent une invention de soi.

Ce qui est dit est ensuite discuté par des lecteurs potentiels (ou bien non lu), ce qui permet un partage derrière une certaine forme d’anonymat. Alors que le journal intime appartenait géolocalement au monde proche de celui qui écrivait, grâce à la dimension spécifique du web, il n’y a plus de géolocalisation du partage, celui-ci se détermine par rassemblement selon des affinités partagées (ce que décrit d’ailleurs Garfieldd lorsqu’il analyse son rapport au blog). C’est pourquoi le blog est à la fois lieu secret et lieu ouvert à tous les regards, alors que le journal intime pouvait, par son caractère matériel, prétendre au secret absolu.

La censure, telle que la définissait Rousseau, dans Du contrat social, repose sur la possibilité de garantir l’intégrité de la morale des mœurs (chap. III, liv. IV), et comme on le sait, la république fondée par Rousseau se doit d’être l’incarnation politique d’une volonté générale, fondée sur un devoir de raison, et pour les sujets, un devoir-être moral. En ce sens, Rousseau, loin de penser la démocratie au niveau politique, la répudie comme impropre aux hommes, ceux-ci ne pouvant pas en effet, du fait de leurs passions et de leurs désirs, être laissés à eux-mêmes, ceux-ci devant accepter de plier leur intérêt propre et leur expression en faveur de l’intérêt de la volonté générale, avec ce qu’elle accepte au niveau de l’expression publique.

On voit alors toute l’ambiguïté du blog : il est à la fois une expression personnelle publiée d’un point de vue privé et l’acceptation plus ou moins consciente d’appartenir au plan général de la publicité : il est une publication. Cependant, en cette heure de spectacularisation mondiale aussi bien de la violence que de la sexualité, spectacularisation se donnant, comme l’exprimait Baudrillard, en tant que pornographie, n’est-il pas évident qu’il y aurait une aberration dans la décision prise par l’éducation nationale, s’il est vrai que les contenus ne sont pas plus sensationnels que ceux qu’on peut constater ? Est-ce que le développement exponentiel des blogs et la nature de leur expression n’impliquent pas de rompre avec une morale politique imposant de convenir à un devoir-être, mais plutôt demande une autre forme d’approche, peut-être même quant à leur nature ?

Je précisais que les blogs sont pour beaucoup de lieux d’expression de l’intimité croisant la fiction et l’objectivité, s’inscrivant selon leur effort biographique, selon une logique souvent ego-fictionnelle (celle-ci renforcée par les pseudos, la jonction image/texte). Ils permetttent une énonciation de soi, non médiatisée par le prisme d’un tiers objectif, comme c’est le cas avec le psychanalyste, mais par la lecture potentielle de l’autre anonyme, qu’on est d’abord et avant tout pour soi-même. Et il est évident que dans cette expression, il y a un travail de l’imagination. Ils sont donc projection de soi, qui permet une certaine forme de décharge aussi bien nerveuse que libidinale. Au lieu de les considérer selon le statut d’une publication publique, comme la diffusion d’un tract, ou bien encore selon des catégories qui ne conviennent pas, ne faudrait-il pas penser les blogs selon la forme de nécessité que leur ont donné leurs usagers : lieu semi-privé/semi-public, qui permet de créer des sortes de micro-tribus, où la psyché peut trouver une certaine forme d’équilibre ? Ainsi, contre Rousseau et sa volonté de censure, et davantage en rapport avec Spinoza qui prônait la nécessité de la liberté de l’expression publique dans une démocratie (Traité théologico-politique, chap.XX), ne devrait-on pas garantir spécifiquement certaines formes d’expression comme le blog, comme on le fait pour les romans ou bien les poésies qui peuvent décrire l’abominable sans que l’écrivain en soit inquiété, même s’il appartient à l’éducation nationale (tel Pogrom, d’Eric Benier Burckel, qui a suscité de nombreux remous lors de sa sortie). Est-ce que le blog n’impose pas ainsi de réfléchir sur son mode d’expression et sur ses statuts juridiques, en tant qu’effectivement, il apparaît comme une nouvelle forme d’écriture et de participation à l’autre qui n’avait pas lieu avant lui, ou en tout cas n’était pas aussi démocratisée ? En tant qu’il tendrait par son usage à garantir de plus en plus une parole des multitudes, de telle sorte qu’il participerait à une certaine forme de démocratie médiatique ?