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COMPLETION (le réel sera son double)

// French – English below

 

Notre mémoire, parfois nous le regrettons, est fragmentaire. Pendant des siècles, il n’y eut que la rétention parla conscience et ses potentialités mnésiques pour se souvenir en image d’un passé. Que l’on avait vécu, ou bien que l’on avait entendu. La photographie a changé cela. Alors que la mémoire eidétique est très rare chez l’être humain, avec la photiographie, on a pu faire des ponctions dans le réel. Regarder une photo c’est revoir un fragment (temprorel et spatial du passé) de ce qui a eu lieu.
Mais il y a toujours du hors-champ. Le hors-champ c’est ce qui a échappé à la captation et la mémoire technique. On peut ainsi penser la photographie comme une prothèse technique de notre mémoire. Une extension. Cependant cette mémoire est limitée, elle est aussi fragmentaire. Elle est un segment infime de l’espace et du temps. Une portion.

 

Avec Complétion, il m’est apparu nécessaire d’interroger la question du hors-champ à l’ère des IA : si le hors champ de ce qui a été mémorisé est ce qui a disparu, que je ne peux qu’imaginer, comment peut-il être abordé et qu’est-ce qu’il ouvre à partir des inférences des IA. Comment une IA peut-elle imaginer un hors-champ ? La complétion, au niveau des logiciels, c’est la possibilité automatisée de compléter des données partielles. Ici, la donnée fournie est une photographie, cadrée, il s’agit alors de compléter son hors-champ, de produire son contexte.

 

Pour la série Complétion, j’ai pris des images historiques. Dont je n’ai pas été le témoin. Dont peut-être plus personne ici, vivant, ne pourra de même témoigner maintenant ou plus tard. Et j’ai utiliser une IA qui fonctionne sans prompt, pour qu’elle imagine à partir de la scène les hors-champs. Le fait que l’IA fonctionne sans aucun prompt est important, car cela met en avant un processus d’imagination artificielle sans vecteur déterminant linguistique de la part de l’utilisateur. L’IA n’a que le contexte photographique. Ici, l’IA fonctionne en deux temps : tout d’abord il y a une perception machine du contexte et une analyse, ensuite, elle produit et complète l’image d’un point de vue génératif. Sans le prompt, elle infère la suite (le hors-champ) de l’image sans autre référence que ce qu’elle en comprend. Complétion ouvre ainsi à une réflexion à une autonomie de l’imaginaire. Alors qu’avec le prompt, on dirige (on induit une vectorialité sémiotique et sémantique dans le modèle), ici on demande seulement à l’IA d’imaginer à partir de sa perception ce que pourrait être le hors champ. Avec Midjourney, ou bien Dall-E 2, l’utilisateur est comme un maître qui donne le sujet que doit réaliser un élève. Complétion propose à une imagination artificielle de générer, sans autre processus que sa propre compréhension non induite, le contexte d’une image.

 Boulevard du Temple photographie en daguerréotype réalisée à Paris en 1838 par l’inventeur du procédé, Louis Daguerre. Ce serait la première ou l’une des premières photographie de l’histoire de l’humanité. Et surtout la première photographie où il. aurait un être humain (un cireur de chaussure). La deuxième, est une des photographies de Amstrong sur la lune. Le premier pas de l’homme sur notre satellite. La troisième est celle du Général Degaulle au Québec. La quatrième est celle du jour de l’assassinat de JFK.
1838 – Louis Daguerre réalise la première photographie : Boulevard du Temple. Première captation mécanique, première mémoire technique de l’image. Plus de témoins de ce qui apparaissait hors-champ. La série Complétion se présente comme une complétion du hors-champ par une IA (et ceci sans la détermination du moindre prompt). L’IA, à partir seulement de ce qu’elle peut inférer selon sa perception algorithmique du donné du pixel, vient compléter la photographie, vient constituer ce hors-champ impossible. La photographie générée fait 10000 / 7841 pixels en 300ppp

Degaulle le 24 – juillet 1967 à Montréal – La photographie est serrée. Le général Degaulle est au premier plan. Dans le paroxysme de son éloquence, il énonce avec force : "Vive le Québec libre". 15000 personnes à le regarder. Les IA génératives sont entrainées avec des sets d’images et des classements linguistiques qui permettent une génération selon une inférence statistique.
En ce sens, l’IA générative ne recherche pas ce qui fait rupture, mais ce qui correspond plus ou moins avec des récurrences, des répétitions, analysées lors des analyses sets d’images. De sorte que les modèles courants qui sont conçus (Midjourney, Dall E 2, Gemini) sont normalisés. S’il y a surprise dans l’image (ou une sorte de réalité qui rompt l’ordinaire) cela provient de l’input de l’utilisateur. Hormis cela, l’IA produit ce qui lui paraît statistiquement le plus probable.
COMPLETION utilise une IA générative sans prompt. Donc l’IA ne se fonde que sur le contexte des données pixels pour déterminer la complétion de l’image. Il n’y a aucune forme d’influence de la part de l’utilisateur. C’est en ce sens que l’IA ne peut envisager d’événement. L’événement pour reprendre Alain Badiou : “ouvre la possibilité qu’une vérité inédite surgisse dans un monde donné”. C’est ce qui vient faire effraction dans l’être (qui est gouverné par Badiou par le mathème, donc l’ordre logis-mathématique). L’événement c’est ce qui fait histoire. Or, si l’IA génère à partir d’une induction statistique, sans autre influence elle va produire du monde selon l’être au sens de Badiou et non pas l’événement.


COMPLETION – 3 – John F. Kennedyen voiture lieu le i 22 novembre 1963 – L’événement historique ici n’aura pas lieu, n’aura pas eu lieu. Car l’espace complété du hors champs n’est pas Dallas. JFK est dans une autre ville, d’un autre temps. La voiture roule, mais personne ne regarde. Le monde est vide. Il n’est pas vidé, car personne n’est jamais venu. Car cette voiture implique un contexte sans histoire, car l’imagination qui imagine ce réel-là, par sa logique inductive, par sa logique statistique, ne peut imaginer ce qui viendrait rompre la chaîne logique d’une ville statistiquement régulière. Seul, un tueur, peut imaginer de rompre la ville régulière et le chemin régulier d’un président qui parade dans une ville.
. //english

Our memory, sometimes we regret it, is fragmentary. For centuries, there was only retention by consciousness and its memory potential to remember the past in images. That we had experienced, or that we had heard. Photography changed that. While eidetic memory is very rare in humans, with photography, we have been able to make punctures from reality. Looking at a photo is seeing a fragment (temporal and spatial of the past) of what took place. But there is always something off-camera. The off-camera is what has escaped capture and technical memory. We can thus think of photography as a technical prosthesis of our memory. An extension. However, this memory is limited, it is also fragmentary. It is a tiny segment of space and time. A portion.

 

With Completion, it seemed necessary to me to question the question of off-camera in the age of AI: if the off-camera of what was memorized is what has disappeared, which I can only imagine, how can it be addressed and what does it open up from AI inferences. How can an AI imagine something off-camera? Completion, at the software level, is the automated possibility of completing partial data. Here, the data provided is a photograph, framed, it is then a question of completing its off-camera, of producing its context.

 

For the Completion series, I took historical images. Which I did not witness. To which perhaps no one here, alive, will be able to bear witness now or later. And I used an AI that works without prompts, so that it can imagine things off-camera from the scene. The fact that the AI ​​operates without any prompt is important, because it highlights a process of artificial imagination without a linguistic determining vector on the part of the user. The AI ​​only has photographic context. Here, the AI ​​works in two stages: first there is a machine perception of the context and an analysis, then it produces and completes the image from a generative point of view. Without the prompt, it infers the rest (off-camera) of the image without any other reference than what it understands. Completion thus opens up a reflection on the autonomy of the imagination. Whereas with the prompt, we direct (we induce a semiotic and semantic vectorality in the model), here we only ask the AI ​​to imagine from its perception what the off-camera could be. With Midjourney, or Dall-E 2, the user is like a teacher who gives the subject that a student must complete. Completion allows an artificial imagination to generate, without any process other than its own uninduced understanding, the context of an image.

The two photographs proposed in this article: Boulevard du Temple daguerreotype photograph taken in Paris in 1838 by the inventor of the process, Louis Daguerre. It would be the first or one of the first photographs in the history of humanity. The second is one of Amsrong’s photographs on the moon. Man’s first step on our satellite.
1838 – Louis Daguerre made the first photograph: Boulevard du Temple. First mechanical capture, first technical memory of the image. No more witnesses to what appeared off-camera. The Complétion series presents itself as an off-screen completion by an AI (and this without the slightest determination). The AI, based only on what it can infer according to its algorithmic perception of the given pixel, completes the photography, constitutes this impossible off-camera.

Degaulle on July 24, 1967 in Montreal – The photography is tight. General Degaulle is in the foreground. In the paroxysm of his eloquence, he forcefully stated: “Long live free Quebec.” 15,000 people watching it.
Generative AIs are trained with sets of images and linguistic classifications which allow generation according to statistical inference. In this sense, generative AI does not look for what breaks, but what corresponds more or less with recurrences, repetitions, analyzed during image set analyses. So the common models that are designed (Midjourney, Dall E 2, Gemini) are standardized. If there is surprise in the image (or some sort of reality that breaks the ordinary) it comes from user input. Aside from that, the AI ​​produces what appears statistically most likely to it. COMPLETION uses generative AI without prompting. So the AI ​​only relies on the context of the pixel data to determine image completion. There is no form of influence from the user.
It is in this sense that the AI ​​cannot envisage an event. The event, to quote Alain Badiou: “opens the possibility of an unprecedented truth emerging in a given world”. This is what breaks into being (which is governed by Badiou by the matheme, therefore the logis-mathematical order). The event is what makes history. However, if AI generates from statistical induction, without any other influence it will produce the world according to being in the sense of Badiou and not the event.
Degaulle’s photography is tight. We don’t see the 15,000 people. And for the AI, its imagination cannot imagine them. As she cannot imagine what Quebec or freedom is. She only imagines the city according to the highest probability in view of her perception of the image. And Degaulle is alone facing the silence of space.

 

Désir mimétique et machine célibataire

Suivre les flux "stable diffusion", "Dall-e 2" ou bien "mid-journey", amène à ce constat simple : les IA sont utilisées selon des logiques anthropomorphiques qui imposent une ontologie de la forme humaine. Les prompts utilisés sont corrélatifs de modèles statistique qui amènent qu cela prédiction (le résultat produit par l’IA) soit corrélatif de moyennes de données fournies dans le dataset. C’est pour cela que domine à ce point la représentation du visage, du portrait, du personnage, mais aussi du paysage, de la ville, de l’objet. Certes, les variations imaginaires sont multiples, mais elles respectent les lois de composition des corps, des êtres et des objets (ce qui est recherché est la variation stylistique dans les prompts). Les IA par la logique des prompts imitent un réel : qu’il soit photo-réaliste, qu’il soit fantastique, ou de SF, ou encore de manga, ou calqué sur des imitations ou des hybridations de style. Les variations sont infinies, mais l’ontologie des corps et de la représentation est toujours la même que celle de la perception.
Ici, il ne faut pas y voir une critique, mais cela note l’attachement de l’être humain à sa perception et à un ordre perceptif du monde qui définit phénoménalement son réel. L’IA est en ce sens ramenée quant à sa possibilité de composition à un possible conformé, mimétique. Den ce sens ce qui domine est bien le réalisme, ou bien une forme de surréalisme : à savoir un sur-réel pour celui qui a l’intention de création, c’est-à-dire l’homme.
Depuis plus un an et demi que je travaille avec des IA graphiques, je n’ai de cesse de m’interroger sur un autre ordre de composition. Qui serait surprenant justement ontologiquement, ou encore au niveau de la logique de la perception. Un ordre de composition, qui pourrait se créer dans une relation de dialogue entre l’homme et l’IA, faisant que l’espace latent où se produit l’induction statistique laisse émerger des formes inattendues. C’est ce que j’ai appelé souvent : l’impossibilité du corps. Cette recherche ne se bâtit pas sur des impositions de prompt, des descriptions de restructuration, mais recherche par la compréhension des processus algorithmiques de l’IA à laisser émerger certaines aberrations, certaines formes de difformités.

 

« Nouvel organisme » est le résultat pour moi très surprenant d’un travail qui cherche une expression de l’IA qui se détache de tout attendu. Le prompt, je l’ai généré au cours d’une discussion avec chatgpt :

 

" PB : Peut-on imaginer des entrelacements de bras et de mains ?
CGPT : Il est tout à fait possible d’imaginer des entrelacements de bras et de mains dans une histoire ou une description. Les bras et les mains sont des parties du corps très expressives et symboliques, et ils peuvent être utilisés de différentes manières pour montrer les émotions et les relations entre les personnages.
Voici quelques exemples d’entrelacements de bras et de mains que vous pourriez inclure dans votre histoire ou votre description : * Un couple qui s’enlace tendrement, les bras de l’un enroulés autour de l’autre et leurs mains entrelacées. Cela pourrait symboliser l’amour et la tendresse qui les unissent.
* Deux amis qui se tiennent par les bras, leurs mains unies en signe de solidarité et de soutien. Cela pourrait montrer l’amitié et la confiance qui les lient.
PB : Oui mais peut-on imaginer des phrases surréalistes et absurdes faites d’entrelacements de bras et de mains
CGPT : Il est tout à fait possible d’imaginer des phrases surréalistes et absurdes faites d’entrelacements de bras et de mains. La poésie et la fiction ont souvent recours à des images et des métaphores étranges et surprenantes pour exprimer des émotions ou des idées de manière originale et poétique.
Voici quelques exemples de phrases surréalistes et absurdes que vous pourriez inclure dans votre écriture :
* "Les bras et les mains s’enroulaient en spirale, comme des lianes de folie."
* "Les mains se tendaient vers le ciel, comme si elles voulaient attraper les étoiles." * "Les bras s’étiraient comme des serpents, s’entrelaçant en un ballet étrange et hypnotisant."
* "Les mains se tordaient et se mêlaient, comme si elles voulaient créer un nouveau langage secret."
Je vous encourage à explorer votre imagination et à trouver des phrases surréalistes et absurdes qui correspondent à l’histoire ou à la description que vous souhaitez raconter. N’hésitez pas à jouer avec les mots et les images pour créer quelque chose de unique et de poétique.
PB : En allant plus loi, en transgressant un peu la grammaire peut on imaginer un corps impossible à partir d’entrelacements de bras et de mains
CGPT : Il est possible d’imaginer un corps impossible à partir d’entrelacements de bras et de mains en transgressant un peu la grammaire et en utilisant l’imagination de manière créative. La poésie et la fiction ont souvent recours à des images et des métaphores étranges et surprenantes pour exprimer des émotions ou des idées de manière originale et poétique.
Voici quelques exemples de phrases qui pourraient vous aider à imaginer un corps impossible à partir d’entrelacements de bras et de mains :
* "Le corps se tordait et se mêlait, comme si les bras et les mains étaient des tentacules pris dans un nœud inextricable."
* "Les bras et les mains se mêlaient en un enchevêtrement de chair et de os, créant une forme indéfinissable et étrange."
* "Le corps se tordait et se contorsionnait, comme s’il était fait de bras et de mains en perpétuel mouvement."
* "Les bras et les mains se mêlaient en un amas de chair et de os, créant une créature
PB / peux tu développer encore plus et aller plus loin dans la transgression de la grammaire avec Le corps se tordait et se mêlait, comme si les bras et les mains étaient des tentacules pris dans un nœud inextricable.
CGPT : Voici quelques façons de développer davantage la phrase "Le corps se tordait et se mêlait, comme si les bras et les mains étaient des tentacules pris dans un nœud inextricable" et de transgresser un peu la grammaire en utilisant l’imagination de manière créative : * "Les bras et les mains ondulaient et s’entrelaçaient, comme des algues sous l’eau, formant une masse informe et mouvante."
* "Les bras et les mains se tordaient et se mêlaient, comme des serpents enragés, créant un corps étrange et indéfinissable."
* "Le corps se tordait et se mêlait, comme s’il était fait de milliers de bras et de mains, unis en un nœud inextricable de chair et de os."
* "Les bras et les mains se mêlaient et s’entrelaçaient, comme des branches d’arbre, formant une structure étrange et inhumaine."
J’espère que ces exemples vous aideront à imaginer un corps impossible à partir d’entrelacements de bras et de mains et à transgresser un peu la grammaire de manière créative. N’hésitez pas à laisser libre cours à votre imagination et à jouer avec les mots et les images pour créer quelque chose de unique et de poétique.
PB : pourrais tu imaginer une histoire absurde d’un homme avec des bras et des mains multiples qui lui échappent ?
CGPT : Voici une histoire absurde que j’ai imaginée d’un homme avec des bras et des mains multiples qui lui échappent :
Il était une fois un homme nommé Paul, qui avait la particularité d’avoir de nombreux bras et mains supplémentaires. Cela avait toujours été un peu gênant pour lui, mais il avait appris à vivre avec cette particularité et à s’en servir de manière utile.
Un jour, alors qu’il se promenait dans les rues de la ville, ses bras et ses mains se mirent à bouger de manière incontrôlable. Ils s’enroulèrent autour de lui comme des serpents, essayant de s’échapper de son corps. Paul se retrouva bientôt enveloppé dans une masse informe de bras et de mains, qui se tortillaient et se mêlaient en un amas indéfinissable.
Il se mit à paniquer et à crier, attirant l’attention des passants effrayés. Mais personne ne semblait savoir quoi faire pour lui venir en aide. Les bras et les mains continuaient de se tordre et de se mêler, comme s’ils voulaient s’échapper de son corps. Finalement, Paul réussit à se débarrasser de ses bras et de ses mains supplémentaires et à rentrer chez lui. Il se blottit sous sa couette, épuisé par cette expérience étrange et effrayante. Il se promit de ne plus jamais sortir de chez lui, de peur que cela ne lui arrive à nouveau.
J’espère que cette histoire absurde vous a plu et vous a donné quelques idées pour imaginer un personnage avec des bras et des mains multiples qui lui échappent."

 

À partir de ce dernier texte, j’ai demandé à dall-e 2 d’imaginer (de produire l’image, de ce que chatGPT avait décrit). En ce sens, il s’est agi de libérer l’imagination artificielle d’une projection mimétique du sujet humain. Comme si l’IA était une machine célibataire, produisant par elle-même, dans une sorte d’auto-référentialité son propre monde. Ce qui ressort, c’est que dès qu’on s’interroge sur les processus de liaison internes qui se déroulent dans les processus de construction de l’IA, et donc qui sont au coeur de l’induction, on s’aperçoit, que l’imagination artificielle n’est pas mimétique mais produit un monde qui pour l’homme est aberrant, où ne sont respectés ni les lignes ou points de fuite, ni les logiques organiques ou corporelles, ni les perspectives ou les proportions.
Ce qui signifie que le flux d’images que nous suivons et qui sont faites par les IA sont le résultat de stéréotypes promptologiques et ontologiques qui brident les émergences de l’espace latent et réduisent le possible à la mémoire de nos images.

Causalité dans The happening

 
The happening est une série de photographies réalistes que j’ai réalisée avec l’IA DALL-E 2, à laquelle j’ai eu accès en juillet 2022. Beaucoup de questions surgissent avec son emploi, que je compte poser régulièrement à l’aide de ces petits articles que je rédige. 
Ici ce qui m’interroge, c’est la relation entre le photo-réalisme et la question de la causalité. Dans notre réel, toute image que nous captons, donc toute photographie, est liée à une chaine de causalité. Lorsque je vois par exemple une rue de Paris, de San Paolo ou de L.A avec des passants, chaque être, chaque objet est impliqué dans la photographie selon un schème temporel et causal. Avec les réseaux sociaux, et la multiplication des micro-vidéos type tik-tok, nous sommes submergés par des images qui reposent sur des micro-actions. Même un paysage, lorsqu’il est photographié est lié à une causalité : celle qui dot que celui qui photographie est en voyage, en vacances, en week-end, etc… 
The happening est une série de photographies réalistes d’un événement. Mais quelle est la causalité dans l’image. Nous voyons une foule photographier quelque chose, mais nous ne savons pas quoi. Il y a une causalité qui est celle du prompt (le texte qui est donné à DALL-E 2), prompt que je tords toujours pour que le résultat déborde l’attendu descriptif, mais il n’y a pas de causalité interne à l’image. En travaillant sur une imprévisibilité du rendu, je brise la possibilité référentielle et réelle dans le rendu. Ceci peut se faire en interrogeant les limites des possibles de rendu de DALL-E 2. Si Etienne Mineur par exemple, a très bien vu en quel sens certaines catégories sont hyper stéréotypées et faciles à représenter pour DALL-E 2, il est possible de faire l’inverse questionner les limites du rendu d’objets, d’associations. Ce qui demande de questionner tout à la fois la logique d’assemblage grammatical du moteur, la nature des banques d’images ayant servi pour le dataset et enfin les restrictions introduites moralement par l’équipe de open-ai.
  L’événement dont nous avons une trace n’a ni passé ni futur, car l’image n’a pas de causalité historique, ou encore toute causalité narrative de l’image est extérieure à sa fabrication. The happening met le spectateur de l’image face à une temporalité en suspension du point de vue de la causalité temporelle. L’IA ne construisant aucunement 
Ce point est une différence majeure avec la photographie ou bien encore avec l’illustration, au sens où justement la production de l’image étant déléguée à un processus technique, celui-ci n’implique pas la construction du sens de l’image. Ou encore la mémoire sémiotique liée à la liaison image/texte n’est pas de l’ordre de la causalité narrative et historique, mais de la relation esthétique par contiguité, pour reprendre une distinction de Hume très utile.
Dès lors l’image produite par une IA est du point de vue de celle-ci, celle d’un présent pur de la contiguité des éléments, le temps de l’image ne se déploie pas dans le temps de l’action, mais seulement dans le temps de la relation. C’est le spectateur humain qui, selon la causalité temporelle, et la mémoire événementielle ou narrative, va s’interroger sur un chainage de l’événement.

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[ENGLISH]

The happening is a series of realistic photographs that I made with the DALL-E 2 AI, to which I had access in July 2022. Many questions arise with its use, which I intend to ask regularly using of these little articles that I write.

Here what questions me is the relationship between photo-realism and the question of causality. In our reality, any image we capture, therefore any photograph, is linked to a chain of causality. When I see, for example, a street in Paris, San Paolo or L.A with passers-by, each being, each object is involved in the photograph according to a temporal and causal scheme. With social networks, and the proliferation of tik-tok type micro-videos, we are overwhelmed by images that are deposited on micro-actions. Even a landscape, when it is photographed, is linked to a causality: the one that points out that the photographer is on a trip, on vacation, on a weekend, etc…

The happening is a series of realistic photographs of an event. But what is the causality in the picture. We see a crowd photographing something, but we don’t know what. There is a causality which is that of the prompt (the text which is given to DALL-E 2), a prompt which I always twist so that the result overflows the descriptive expectation, but there is no internal causality to the prompt. ‘image. By working on an unpredictability of rendering, I break down the referential and real possibility in rendering. This can be done by questioning the limits of the possible rendering of DALL-E 2. If Etienne Mineur for example, has seen very well in what sense certain categories are hyper stereotyped and easy to represent for DALL-E 2, it is possible to doing the opposite questioning the limits of the rendering of objects, of associations. This requires questioning both the grammatical assembly logic of the engine, the nature of the image banks used for the dataset and finally the restrictions morally introduced by the open-ai team.

  The event of which we have a trace has neither past nor future, because the image has no historical causality, or any narrative causality of the image is external to its fabrication. The happening puts the spectator of the image in front of a temporality in suspension from the point of view of temporal causality. AI not building at all

This point is a major difference with photography or even with illustration, in the sense that precisely the production of the image being delegated to a technical process, this one does not imply the construction of the meaning of the image. Or again, the semiotic memory linked to the image/text link is not of the order of narrative and historical causality, but of the aesthetic relationship by contiguity, to take up a very useful distinction from Hume.

Therefore the image produced by an AI is from its point of view, that of a pure present of the contiguity of the elements, the time of the image does not unfold in the time of the action, but only in the time of the relationship. It is the human spectator who, according to temporal causality, and event or narrative memory, will wonder about a chaining of the event.

 

 

Homogénéité et hétérogénéité dans la création par IA

Cela fait maintenant un an que se répandent sur internet et surtout les réseaux sociaux, des créations visuelles générées par IA (Intelligence artificielle) selon le modèle du CLIP (Contrastive Language–Image Pre-training), à savoir, d’un énoncé (prompt) générant une image. Plusieurs types de logiciels on été donnés de VQGAN-clippitty, de disco-diffusion à Dall.
Il est possible maintenant de réfléchir à une forme de typologie des emplois. Notamment, parce que des créateurs comme Grégory Chatonsky, Yann Minh ou bien Etienne Mineur, entre autres, ont eux-même définis les usages qu’ils en faisaient.

L’usage majeur qui est fait de ce type d’IA fait ne tient pas tant à la recherche de l’imprédictibilité du résultat, mais comme l’exprime parfaitement Yann Minh, à la substitution d’une incompétence par une compétence ordonnée à la génération de l’IA. L’IA vient remplacer une praxis que ne possède pas le créateur afin de permettre une poiesis de l’image : la capacité à illustrer. L’IA est pensée dès lors comme prothèse, augmentation, médiation. La recherche tend à créer le plus possible selon ce que recherche l’imagination du créateur : l’IA est déterminée comme illustratrice, exécutante. C’est en ce sens que Yann Minh crée les personnages de ses romans, leur donne visage.
Dans cette démarche l’imprédictibilité de ce qui survient n’est pas recherchée pour elle-même, elle n’est pas questionnée en tant que processus, même si elle n’est pas non plus ignorée, elle est considérée comme un moyen qui doit tout à la fois surprendre et obéir à l’horizon fixé par le prompt. La puissance propre à l’IA doit correspondre à une attente conceptuelle (celle du prompt) du créateur. Certes, il y a coopération, mais le créateur reste dans la logique du pilotage qui commande une exécution. L’IA est alors un instrument, dont on est pas interrogél’être propre. On est dans une logique proprement cybernétique, au sens que lui confère Aristote originellement : celle du commandement.  

Une seconde démarche, parait être davantage celle de Grégory Chatonsky par exemple : celle de l’imprédictibilité du résultat du à l’espace latent de l’IA. Dans le prolongement de ses recherches, ce qu’il questionne n’est pas tant la représentation ou le résultat surréaliste (même si ce terme a été présent et déterminant dans ses premières recherches) que certaines formes de mutation de la forme propres à l’imagination machine plus que l’imaginaire machine. Cette distinction à mon sens est nécessaire. La première démarche recherche l’imaginaire machine, à savoir le résultat du processus. Alors que cette deuxième démarche dans laquelle, je me situe aussi, questionne l’imagination artificielle ou plus précisément l‘imaginer artificiel : le processus et les mécanismes de la machine en tant qu’elle génère de l’image. Comment est constitué un dataset ? Comment se fabrique à partir de bruit de perlin ou bien d’autres images par exemple une image par un processus de GAN (Generative adversarial networks) ? Quelle différence y a t il entre recombiner des formes et constituer une forme par approximation statistique ? Il ne s’agit plus seulement d’utiliser l’IA en tant qu’outil, mais de se questionner en relation à ce qu’elle pose comme réalité algorithmique.
Pour ma part c’est ce qui m’avait amener – à partir de mes propres recherches – à réfléchir sur la question de la différence de la mémoire entre celle de l’IA et celle de l’être humain et à réfléchir sur l’impossibilité du corps ou encore une nouvelle forme d’organologie, au sens où la mémoire la machine ne me semblait aucunement liée à une expérience de corps (Leib) mais à une la computation statistique de l’apprentissage profond. C’est en ce sens que je posais davantage la question du pararéalisme de la création de l’IA, que celle du surréalisme. Ce sur que semble aussi indiqué Grégory Chatonsky par exemple dans cet article où il insiste sur la question du parallélisme des mondes.
Cet horizon, où une forme de dialogue avec les possibles du logiciel est instauré entre le créateur humain et l’ensemble des possibles algorithmiques, est alors ouvert à l’imprédictible de la forme en tant qu’imprédictible pour notre mémoire de monde. La notion de prompt se détache du premier usage. Le prompt ne sera plus prescription, au sens d’une intention qui commande et doit décider, mais par approximation, il questionnera la constitution tout à la fois de la réalité latente possible par le dataset (liaison entre images et catégories linguistiques), mais aussi la manière dont algorithmiquement « l’induction statistique » (Chatonsky) opère. Car en effet, il n’y a qu’à expérimenter avec un même prompt : VQGAN, DISCO ou DALL, pour s’apercevoir qu’il y a des différences spécifiques entre les trois IA, quant à la génération.

Une troisième voie de recherche peut être établie, et elle constitue une part importante de mon travail : celle d’une accidentlité ontologique de la matière générée par l’IA. Lorsque l’on regarde les images générées, et d’autant plus avec les différents logiciels DALL qui circulent depuis peu à la suite d’open-AI, il y a une forme d’homogénéité matérielle qui n’exclue aucunement d’ailleurs une imprédictibilité de la forme. Les images se révèlent dans une forme d’unité ontologique de la matière. Certes elles peuvent être surréalistes, ou bien heroic Fantasy ou SF, mais il y a toujours une forme de simplicité ontologique de la matière, une réduction de la différence. Je n’ai quasi jamais observé de complexité ontologique de la matière dans les créations faites par les IA. Chaque image semble obéir à une détermination qui commande l’ensemble du rendu. C’est ce qui ressort d’ailleurs parfaitement avec les lettrages d’Etienne Mineur et qu’il a lui-même remarqué : chaque lettrage est fait dans un style : mais ce style est d’abord et avant tout une forme d’homogénéité de la matière, de la texture.
Cette homogénéité à mon sens provient de deux spécificités : la forme est privilégiée par rapport à la matière au niveau du prompt. Et deuxièmement, l’IA n’est pensée que comme un simple outil d’exécution, une application, et non pas selon une forme d’expérimentation de ses possibles de texture. C’est en ce sens que beaucoup de création par IA vont même spécifier la référence à un artiste ou bien un mouvement artistique pour créer le rendu. Ce qui est permis spécifiquement avec VQGAN, Disco Diffusion ou bien Pitty entre autres.
Il est évident que pour créer au sein d’une seule image une variation matérielle créant une véritable hétérogénéité, il s’agit de penser l’IA non plus comme une simple application, mais comme un ensemble de potentialités au niveau programmation avec lesquelles il faut entrer en dialogue afin d’en comprendre certains mécanismes, notamment quant à son travail de rendu. Il s’agit de comprendre comment ’opèrent entre autres les différents settings de matrice de rendus (vitB32, vitB16, RN50), de jouer avec, la notion de récurrence, etc… Mais aussi comment s’établit la logique de prompt, non plus du point de vue de la forme mais du possible de la texture et ainsi de laisser apparaître dans ce dialogue avec les potentialités de la machine des possibles, non pas de formes mais de matières. C’est en grande partie la direction que je tente de suivre en la liant la deuxième démarche décrite.  

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It’s been a year now that visual creations generated by AI (Artificial Intelligence) according to the CLIP (Contrastive Language–Image Pre-training) model have been spreading on the Internet and especially on social networks, namely, a statement (prompt ) generating an image. Several kinds of software were donated from VQGAN-clip, to pitty, from disco-diffusion to Dall. It is now possible to think about a form of job typology. In particular, because creators like Grégory Chatonsky, Yann Minh or even Etienne Mineur, among others, have themselves defined the uses they made of it.

The major use that is made of this type of AI is not so much the search for the unpredictability of the result, but as Yann Minh perfectly expresses it, the substitution of an incompetence by a skill ordered to the generation of AI. AI comes to replace a praxis that the creator does not have in order to allow a poiesis of the image: the ability to illustrate. AI is therefore thought of as a prosthesis, augmentation, mediation. Research tends to create as much as possible according to what the creator’s imagination seeks: AI is determined as an illustrator, an executor. It is in this sense that Yann Minh creates the characters of his novels, gives them a face.

In this approach, the unpredictability of what happens is not sought for itself, it is not questioned as a process, even if it is not ignored either, it is considered as a means which must both surprising and obeying the horizon fixed by the prompt. The power specific to the AI ​​must correspond to a conceptual expectation (that of the prompt) of the creator. Admittedly, there is cooperation, but the creator remains in the logic of piloting which commands an execution. AI is then an instrument, whose very being we are not questioned. We are in a strictly cybernetic logic, in the sense originally given to it by Aristotle: that of command.

A second approach, seems to be more that of Grégory Chatonsky for example: that of the unpredictability of the result due to the latent space of AI. In the extension of his research, what he questions is not so much the representation or the surrealist result (even if this term was present and determining in his first research) as certain forms of mutation of the form specific to the machine imagination more than machine imagination. This distinction, in my opinion, is necessary. The first approach seeks the machine imaginary, namely the result of the process. While this second approach in which I also find myself, questions the artificial imagination or more precisely the artificial imagination: the process and the mechanisms of the machine as it generates the image. How is a dataset made? How is it made from pearl noise or other images, for example an image by a GAN process (Generative adversarial networks)? What is the difference between recombining shapes and constituting a shape by statistical approximation? It is no longer just a question of using AI as a tool, but of questioning oneself in relation to what it poses as algorithmic reality.

For my part, this is what led me – from my own research – to reflect on the question of the difference in memory between that of AI and that of human beings and to reflect on the impossibility of the body or even a new form of organology, in the sense that the memory the machine seemed to me in no way linked to an experience of the body (Leib) but to a statistical computation of deep learning. It is in this sense that I posed more the question of the pararealism of the creation of AI, than that of surrealism. This is what Grégory Chatonsky also seems to indicate, for example in this article where he insists on the question of the parallelism of the worlds.

This horizon, where a form of dialogue with the possibilities of the software is established between the human creator and all the algorithmic possibilities, is then open to the unpredictability of the form as unpredictable for our memory of the world. The notion of prompt stands out from the first use. The prompt will no longer be a prescription, in the sense of an intention that commands and must decide, but by approximation, it will question the constitution both of the latent reality possible by the dataset (link between images and linguistic categories), but also the way in which algorithmically “statistical induction” (Chatonsky) operates. Because indeed, you only have to experiment with the same prompt: VQGAN, DISCO or DALL, to realize that there are specific differences between the three AIs, as far as generation is concerned.

A third way of research can be established, and it constitutes an important part of my work: that of an ontological accidentality of matter generated by AI. When we look at the images generated, and all the more so with the various DALL software programs which have recently been circulating following open-AI, there is a form of material homogeneity which in no way excludes a unpredictability of form. The images are revealed in a form of ontological unity of matter. Certainly they can be surreal, or heroic fantasy or SF, but there is always a form of ontological simplicity of matter, a reduction of difference. I have almost never observed any ontological complexity of matter in the creations made by AIs. Each image seems to obey a determination that controls the whole rendering. This is what comes out perfectly with the lettering of Etienne Mineur and which he himself noticed: each lettering is done in a style: but this style is first and foremost a form of homogeneity material, texture.

This homogeneity in my opinion comes from two specificities: the form is privileged compared to the material at the level of the prompt. And secondly, AI is only thought of as a simple execution tool, an application, and not as a form of experimentation with its possible textures. It is in this sense that many AI creations will even specify the reference to an artist or an artistic movement to create the rendering. What is allowed specifically with VQGAN, Disco Diffusion or Pitty among others.

It is obvious that to create within a single image a material variation creating a real heterogeneity, it is a question of thinking of AI no longer as a simple application, but as a set of potentialities at the programming level with which it is necessary to enter into a dialogue in order to understand certain mechanisms, in particular with regard to its rendering work. It is a question of understanding how the different rendering matrix settings (vitB32, vitB16, RN50) operate, among other things, to play with, the notion of recurrence, etc… But also how the logic of prompt is established, either from the point of view of the form but of the possible of the texture and thus to let appear in this dialogue with the potentialities of the machine of the possibilities, not of forms but of materials. This is largely the direction I am trying to follow by linking it to the second approach described.

La machine célibataire et l’IA

"Le mythe des machines célibataires signifie l’empire simultanéité du machinisme et du monde de la terreur" Michel Carrouges, 1954.

En 1981, David Cronenberg, avec Videodrome, émettait l’hypothèse d’une transformation de notre réel à partir de l’image télévisuelle. Le leitmotiv était celui de "la nouvelle chair".
Cette nouvelle chair, étrangement, n’était pas  dépendante des hommes, mais, dans une sorte de spirale horrifique, elle se fondait sur une  autonomisation de la technique. Celle-ci s’émancipant des causalité humaines, agissant sur Max (James Wood) sans qu’il y ait d’intentionnalité  pré-existante. La scène de la télévision vivante, animée d’un circuit vasculaire, avec à l’écran Niky appelant Max puis le gobant en était l’une des séquences symboliques. Entre eros et thanatos, Videodrome montre une technologie qui produit de l’image incontrôlable.

 

Pour David Cronenberg, il y aurait une forme d’extension du règne de l’image sur l’imaginaire, produisant une transformation de la chair du réel. L’imaginaire étant produit par la machine elle-même. Cette transformation serait analogiquement organique et terrifiante, mais désirable, d’où la fascination de Max pour l’organisme TV autonome et posé sexuellement.
Avec la production d’image par les IA, nous sommes entrés pleinement dans cette ère de la nouvelle chair, nous faisons face à des écrans qui génèrent de plus en plus d’images produites par les machines elles-même.

Il y aurait une extension d’images non produites par l’humain et delà un imaginaire qui n’aurait plus comme source l’imagination humaine, mais l’imagination machine. Une forme de contamination de l’image par les productions de l’IA.
Il y a là en quelque sorte une inversion dans la constitution de l’image telle qu’elle a été pensée traditionnellement en art, mais aussi un déplacement par rapport à l’usage de la médiation technique.
L’oeuvre est encore souvent définie à partir de l’artiste, qui en serait le créateur, « la singularité créatrice » pour reprendre Nathalie Heinich. Non seulement il en serait la source intentionnel, mais il en serait aussi par son imaginaire, son émotion le créateur de la plasticité. Le créateur serait ainsi central, sa vocation, ses dons, son exception, son inspiration. De même, si prendre une photographie, comme l’a parfaitement expliqué Vilem Flusser, cela implique de saisir le cadre déterminant de la technique, cela suppose néanmoins qu’il y ait encore un réel à capter et un certain nombre d’intentions et d’actions du photographe, notamment une forme de sensibilité à ce qui est vu et donc dans l’acte du voir technique. La création par IA suppose une rupture dans l’acte de création, au sens où si l’intention de création repose encore sur la décision humaine, les procédures de production de l’image se sont détachées de son imaginaire et de sa subjectivité, nous avons à faire à un imaginaire machine. Une partie des  causalités de la création, comme l’explique très bien Grégory Chatonsky, s’échappe de la maîtrise humaine. Certes, les règles de création sont des algorithmes pensés dans leur processus par des humains, toutefois l’algorithme n’est pas la chose produite, il y a là un écart entre le code et l’image. L’imaginaire machine se détache de l’intention du sujet humain. Cet imaginaire semble rétiscent à toute appréhension comme s’il était "une boîte noire".
On aurait ainsi une incarnation de « la machine célibataire », en écho à Duchamp, Carrouges ou Tinguelly. Selon Deleuze et Guattari, pour une machine célibataire « l’ essentiel est l’ établissement d’ une surface enchantée d’ inscription ou d’ enregistrement qui s’ attribue toutes les forces productives et les organes de production, et qui agit comme quasi-cause en leur communiquant le mouvement apparent ».
L’IA apparaît comme une machine célibataire, car elle s’autonomise. Causa formalis, causa materialis et causa efficiens – pour reprendre les causalités aristotéliciennes, ne sont plus humaines, mais détachées de son intentionnalité, elles sont appropriées par l’IA à laquelle le créateur délègue la quasi totalité du processus.  La création s’échappe des opérations du sujet humain que je suis en tant que créateur de la plasticité. En quelque sorte, le sujet humain serait comme le maître hegelien, il n’exercerait aucune forme de négativité dans le processus de création. Il serait une intention purement en soi, sans jamais être du côté de l’existence. Le sujet humain aurait en lui, dans le processus une pure idée vide sans substance. L’imaginaire machine serait à l’oeuvre, se produirait abandonnant le sujet. C’est là sans doute la terreur de Michel Carrouges, mêlant à la machine célibataire la pensée du Golem. Michel Carrouges, voyant des machines proliférés dans le monde entier, s’inquiète de leur possible autonomie. Créature née de l’homme et devenant antagoniste à lui alors qu’elle le fascine.  C’est  cet écart terreur/fascination que mes créations appelées Single machine –  machine célibataire, conçue avec une IA, questionne. Dans chacune d’elle, le corps féminin mis à nu, nous regarde. Il est comme Niky, il nous interpelle. 

La prolifération des images produites par un imaginaire extra-humain doit alors questionner. En quel sens il produit une transformation de notre rapport au réel au sens où justement Cronenberg l’avait envisagé dans Videodrome ? Comment penser l’entre-deux de la fascination et de la terreur ? N’y aurait-il pas des modifications, une forme de contamination de notre manière de penser l’imaginaire de l’image selon ce processus ? Les images techniques n’étant plus le résultat d’une mimétique de notre imaginaire, mais au contraire notre imaginaire devenant mimétique d’un imaginaire de l’image technique ?

Réalisme, surréalisme et pararéalisme (pour une ontologie esthétique de l’IA)

Réalisme, surréalisme et pararéalisme (pour une ontologie esthétique de l’IA)

Ce petit article aurait pu être un manifeste. Rencontrant une histoire des traités et des manifestes artistiques, il aurait pu se présenter comme une proclamation. Il n’en sera rien, je ne souhaite que pointer brièvement, certains déplacements théoriques afin de mettre en lumière certains enjeux liés à la création graphique avec une IA de type CLIP (Constrative Language-Image Pretraining). Ainsi, il s’agira davantage d’éclaircir une position et des catégories d’analyse que de manifester une nouvelle forme esthétique, même si bien évidemment, il y a là un horizon de nouvelles pratiques esthétiques dans lequel se situe mes créations.

Le réalisme d’une certaine manière a été pour la première fois formulé par Platon. Il est lié à une mimétique esthétique de la représentation face au monde perçu. C’est en ce sens que son analyse s’intéresse au trompe l’oeil de Zeuxis, à ces fameux raisins pouvant même berner un oiseau au point qu’il se casse le bec contre le mur de la représentation. Cette première approche insiste — certes d’un point de vue critique — sur le fait que la représentation graphique est une imitation de ce qui est perçu, un eidos, pouvant même concurrencer par sa réalisation avec l’objet réel. Le réalisme en peinture, en Occident s’établit et trouve quant à ses règles de représentation, ses formulations canoniques, avec la Renaissance tout d’abord avec le De pictura d’Alberti, établissant les règles de la perspective à partir de la composition du point de fuite et de l’axe de perception de l’observateur (primat de la subjectivité et ontologie du réel), ensuite avec la formulation non achevée de Léonard de Vinci dans son Traité de La peinture. « Il faut qu’à force de talent il se donne à lui-même l’ombre, la lumière, la perspective, qu’il se convertisse en la nature même. L’oeuvre représente directement les œuvres de la nature, elle n’a besoin ni d’interprètes, ni de commentateurs. » énonce Léonard de Vinci.
Le réalisme de la représentation repose sur l’imitation, et donc sur une ontologie où un réel préexisterait. Le degré de réalisme est lié à la comparaison avec la nature et ses règles. «Le relief donne à l’image l’intensité du réel, par lui seul l’art égale la nature. La peinture est une sorte de magie : Le tableau doit apparaître comme une chose naturelle vue dans un grand miroir. »
 Le réalisme tire ses règles de la perception du monde et de la Nature, au sens géométrique. C’est pour cela que le terme d’imitation est si important chez Vinci, même s’il convoque l’imagination. L’imagination est dominée par une ontologie première du monde qui est celle du réel et de ses règles.
Avec l’avènement des technologies de captation, notamment la photographie puis le cinéma, le réalisme s’est peu à peu déplacé dans une correspondance avec la technique. L’exposition Enfin le cinéma,  au Musée d’Orsay montre parfaitement  comment la peinture elle-même a été transformée dans sa manière d’appréhender et d’imiter le réel par la captation technologique – avant même le XXème siècle, par l’introduction du flou ou du plan comme l’indique parfaitement Dominique Païni dans le catalogue.

André Breton avec le Manifeste du surréalisme, vient d’emblée s’opposer et dépasser l’ontologie première du matéralisme et du réalisme. « Cette imagination qui n’admettait pas de bornes, on ne lui permet plus de s’exercer que selon les lois d’une utilité arbitraire; elle est incapable d’assumer longtemps ce rôle inférieur et, aux environs de la vingtième année, préfère, en général, abandonner l’homme à son destin sans lumière.  La seule imagination me rend compte de ce qui peut être, et c’est assez pour lever un peu le terrible interdit.
Le procès de l’attitude réaliste demande à être instruit, après le procès de l’attitude matérialiste. Celle-ci, plus poétique, d’ailleurs, que la précédente, implique de la part de l’homme un orgueil, certes, monstrueux, mais non une nouvelle et plus complète déchéance. Il convient d’y voir, avant tout, une heureuse réaction contre quelques tendances dérisoires du spiritualisme. Enfin, elle n’est pas incompatible avec une certaine élévation de pensée."
C’est en ce sens que Breton va défendre le merveilleux dans la littérature et ceci après une analyse du rêve. Le surréalisme se construit par la rupture de la réduction du monde à la logique rationnelle et fonctionelle. Il va donner un primat à l’imagination comme principe de regard et de constitution de monde. Alors que chez Vinci, le réalisme tirait ses règles de la nature, le surréalisme doit tirer ses règles de l’imagination pour se saisir de ce qui se donne dans la nature. Le surréalisme ne peut s’émanciper de la position première du réalisme. Mais il pose une rupture entre le réel rationnel (au sens de Hegel) et le travail autonome de l’imagination créant ses propres règles.

Grégory Chatonsky dans Art press 492, interviewé par Dominique Moulon, parle à propos des créations produites par IA « de réalisme sans réel ». Son expression pertinente, toutefois est questionnable.
Le réel, pour le peintre ou le photographe, est ce qui se donne ontologiquement face à lui à travers une manière de percevoir. Quelque soit la figuration, tel que l’énonce Philippe Descola : « figurer, c’est ainsi donner à voir l’ossature ontologique du réel, à laquelle chacun de nous se sera accommodé en fonction des habitudes que notre regard a prises de suivre plutôt tel ou tel pli du monde » (Les formes du visible). Les surréalistes ne s’échappent pas de ce constat. Voulant dépasser le réel matérialiste et scientiste par la liberté d’un autre réel : celui produit par la liberté de l’imagination, il se constitue en relation avec un réel extérieur ontologiquement premier. Dans les deux cas, il y a une ontologie du sujet humain qui est posée, et d’autre part une forme de liaison avec une ontologie générale du réel.
On ne peut penser, lorsque l’on considère une IA, qu’elle produirait un réalisme sans réel. À mon sens, on associe deux points de vue dans cette expression : celui de l’IA et celui de l’observateur humain. Il est nécessaire de tenter de réfléchir d’une manière autonome la production de l’IA, en soustrayant la question de la perception humaine.
Pour une IA, le réel, n’est plus à entendre comme ce qui fait face au sujet humain répondant d’une ontologie générale, mais comme ce qui constitue ses données : le réel ce sont les données à partir desquelles elle s’entraine, qu’elle va analyser, dont elle va constituer sa mémoire. Penser les réalisations de l’IA sous l’analogie de la photographie est un leurre (ce serait de même oublié qu’une partie de la peinture a pu créer de l’hyperréalisme sans être photographie). Sa perception n’obéit pas à la perception humaine, mais va s’établir dans des calculs statistiques complexes. Ce réel, ne correspond pas à nos règles de perception mais il obéit aux règles algorithmiques qui lui sont propres : les images ne sont pas son réel seulement, mais c’est l’ensemble des données qui en sont issues. Il y a bien un réel dans l’IA, mais sa définition est hétérogène avec le nôtre. Ses données peuvent être aussi bien des photograhies que des graphiques, que n’importe quoi de représentable. Pour une IA, la nature de la représentation n’est pas déterminante, ni non plus ce qu’elle produira.
Et c’est à partir de ce réel que l’IA crée, et non pas à partir de rien. Un réalisme sans réel, cette expression vaut pour l’observateur humain. Cependant ce que produit l’IA, si pour une part cela ressemble à notre réalité, ce n’est aucunement un réalisme, ni un surréalisme. Ce n’est pas un réalisme, au sens où l’IA n’a pas pour modèle une antériorité ontologique de réel, de monde, qu’elle tenterait d’imiter. Elle ne tente pas non plus de s’affranchir d’un réel, en définissant un surréel. Elle explore par sa complexion une puissance graphique (un bruit, quelque soit l’image initiale : un noise de perlin, un VQGAN, une image concrète) et travaille à créer selon des possibilités statistiquement déterminées par son apprentissage.
L’IA à chaque fois qu’elle produit une image, crée un réalisme qui est liée à sa propre à sa complexion. C’est ce que j’appelle un pararéalisme. Un réalisme d’â-côté, comme si l’IA composait une dimension parallèle. L’IA figure sans relation avec un objet à figurer. En ce sens les quatre catégories de Philippe Descola seraient à réfléchir (analogisme, naturalisme, totémisme, animisme).
Le pararéalisme est la constitution d’un réalisme sans relation avec la fondation ontologique qui définit le réalisme chez l’homme. Penser que les créations d’une IA seraient surréaliste, reviendrait à poser l’intentionnalité humaine comme motrice, et neutraliser la question de l’IA, en rabattant et réduisant cette dernière au simple instrument. Or, dans les représentations que l’on peut produire avec une IA, tel le CLIP, quelque chose échappe inexorablement de la volonté du sujet humain : il ne peut être que dans l’expectative de ce qui arrive, dans des esquisses de compréhension, des tentatives d’interaction parcellaire (j’y reviendrai ultérieurement à partir de Vilem Flusser). Cela provient du fait que le réel duquel part l’IA, le sujet humain ne le connaît pas et ne peut même en avoir une idée claire et distincte : puisque ce réel n’est pas tant l’image que le résultat de l’analyse des images pour l’IA, le réseau des interconnections statistiques des images et des textes.
Abstraire l’IA dans cette analyse, ce n’est pour autant aucunement l’autonomiser et la réifier comme sujet. Mais c’est tenter de penser le statut de l’image et son esthétique indépendamment de sa réception, selon son processus propre.

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