[article] Le podcast est-il vraiment de la merde ?
[article paru sur agoravox]
Les podcasts et les vcasts, en tant que production audio-visuelle, sont-ils à penser à l’aune de la télévision ? A l’occasion de leur stigmatisation dans un article, nous analysons leur nature, et tentons de mettre en lumière leur potentiel devenir.
Le 28 janvier, sur le blog radical-chic.com, Guillermo a écrit un article stigmatisant l’usage des podcasts (lire ici). Il explique que le podcast, par sa qualité, et par son médium – soit seulement son, soit image et son (vpodcast), retranscrit la médiocrité télévisuelle, ne peut que manquer de contenus.
Or, il est bien évident que cette analyse repose sur de nombreuses bévues :
1/ Tout d’abord, au niveau télévisuel. Ce n’est pas le médium qui provoque la médiocrité du petit écran, mais bien au contraire la logique de l’usage de ce médium, et l’intentionnalité qui la domine. Une technique n’est pas neutre, mais elle est toujours déjà investie d’une certaine logique d’utilisation, de certaines idéologies quant à son pouvoir. La télévision dans son usage est destinée à une large population (mass média), et vise l’interprétation et la compréhension moyenne de celle-ci. De plus, du fait de sa spécificité technique (usage de canaux qui sont en nombre restreint) seuls les intérêts assez puissants économiquement peuvent se permetttre d’avoir des canaux (y compris au niveau de la TNT).
2/ Un médium a des qualités spécifiques qui peuvent croiser les qualités d’un autre médium ou s’en distinguer. Ce qui implique qu’avant de condamner l’audio-visuel, il faudrait épistémologiquement comprendre les propriétés qui soustendent cette dimension d’expression.
3/ Le podcast, comme le vcast, appartient à une autre dimension que celle de l’univers télévisuel : aussi bien quant à la logique de production des contenus (qui repose majoritairement sur l’émergence de l’expression privée, telle que l’exprime Joël de Rosnay : passage “des mass média aux média de masses) que quant à leur diffusion, qui n’obéit pas à des canaux spécifiquement, mais à des plateformes, ce qui signifie que le flux podcasté est un segment de plateforme, et non pas un segment d’une séquence ininterrompue de diffusion.
Dès lors, avant de condamner pour médiocrité, il est nécessaire de réfléchir à l’usage qui peut être fait d’un médium qui a priori n’est pas surdéterminé par des intérêts économiques qui régissent par exemple le monde télévisuel.
Une émission de podcast ou de vcast n’est pas un format pensé tout d’abord pour une masse, il peut être librement élaboré par n’importe quelle personne. Ainsi, si on peut voir en effet des usages grégaires de ce type de diffusion, il est certain que le podcasting peut aussi être la plateforme d’émissions pertinentes, au caractère singulier.
C’est ce qu’entreprend par exemple le site criticalsecret. Le podcast n’a pas un format qui lui est préétabli, mais pour l’instant, il y a encore indétermination de toute forme de format, celui-ci dépendant de l’émergence de ses usages, et de l’ouverture et de l’invention des podcasteurs. C’est donc l’usage qui en est fait qui peut commander le jugement qu’on porte sur le podcast, et il n’y a pas de critères a priori quant à son usage. De même pour les blogs, c’est bel et bien son usage qui en détermine la propriété, et ce n’est pas la nature du blog qui détermine sa valeur. Le podcast ou le vcast, par le contenu qu’ils peuvent véhiculer, ne s’opposent pas à la textualité, mais tout au contraire apportent la spécificité de leur médium : son et image. Les techniques ne sont pas exclusives les unes des autres, mais chaque technique est un vecteur d’élaboration nouveau pour la capacité représentationnelle de l’homme. En ce sens, on ne vise pas la même élaboration de contenu entre l’écrit et le flux sonore ou vidéo. Ces flux doivent s’élaborer par une réflexion stricte sur ce qu’ils portent en eux. Le podcast permet d’associer des documents sonores au contenu.
Par exemple, si on travaille sur une chronique portant sur de la poésie sonore, le podcast permet de lier à l’analyse les traces réelles de ces expériences poétiques. De même, si on fait une chronique vcastée sur un discours politique, on peut soutenir cette analyse par le document dont on parle, ceci non selon une logique informationnelle télévisuelle, mais selon sa propre logique. De plus, alors que le médium télévisuel, pour ses diffusions, obéit à des grilles horaires, et demande une logique stricte et lourde de l’intervention du temps réel, par la démocratisation des technologies de l’information (enregistrement son ou image, transfert sur le Net) les podcast ou les vcast peuvent devenir des relais en temps réel d’une actualité qui se déroule. On se souvient, lors des manifestations altermondialistes de Gênes, des diffusions en temps réel des événements par Indymedia. De même se développent de plus en plus les processus de phoneblog, tel que, par exemple, le fait mémoire-vive.org.
Ce type d’intervention est spécifique au médium image/son, en tant qu’elle repose sur la diffusion de ce qui a lieu, et non pas sur la narration de ce qui a lieu.
Tout cela pour dire que dans un mouvement sans précédent de la démocratisation de l’expression publique, il est nécessaire de réfléchir, peut-être d’abord et avant tout, aux conditions de cette expression, en s’interrogeant sur les usages que nous faisons de ces médiums. Si l’article de Guillermo est de fait critiquable, il a cependant le mérite d’obliger à penser ce que sont nos pratiques, et ce que sont nos impensés par rapport aux technologies, que nous employons.