Archive for [texte]
March 31, 2007 · category [texte], [une]
[…] la main de Bachir saisit les billets tandis que la main d’Abdel donne le paquet de cigarettes Lucky Strike ou Marquise ou JPS ou, tandis que la main d’Antoine s’enfonce dans ma veste sans que je la sente, tandis que la main de Mireille prend le sac noir, empli d’olives, tandis que la main gauche de Claude tente de ne pas trembler, la main droite attendant d’appuyer sur le bouton de l’appareil photographique, tandis que les mains de Catherine pétrissent et branlent la verge d’Etienne, qui a ses mains sous la tête, son corps allongé, raidi, sur le dos, tandis que les mains de Rachelle caressent la fourrure du chat, couché sur le flanc, tandis que la main gauche de Kevin se saisit de la canne de billard, le sourire grandiloquent parce que, tandis que la main droite de Marion tourne les clés qu’elle a finies par retrouver dans son sac toujours en bordel comme le constate souvent la main droite de son mari, tandis que les mains de Elke, restent au chaud dans son gros blouson matelassé, toutes les Elke faisant de même, tandis que les mains de Saran traversent ses cheveux, mains agiles, rapides, mains manucurées, traversent pour les replacer derrière ses oreilles et dégager son front, tandis que la main de Claudio, sort 20 euros et les pose sur le comptoir pour payer le whisky qu’il vient de prendre suite à l’annonce de la naissance de sa fille, tandis que la main droite d’André s’approche de son anus, ses doigts écartant les deux parois resserrées et ridées, striées, ses doigts humectés de salive, s’enfonçant alors, creusant la résistance des plis, tandis que la main gauche de JP s’agite autour de son sexe, les yeux, oui, les yeux exorbités comme on peut le constater, les yeux immobiles et écarquillés face à une vidéo XXX qu’il fait tourner en boucle sur son lap-top, tandis que les mains de Séverine se portent et se posent sur son visage, on ne peut voir, pleure-t-elle ? rit-elle ? ses yeux sont-ils rouges irrités ?, tandis que la main d’Edouard s’applique à écrire, la main gauche délicatement posée sur la feuille, tandis que les deux mains de Thérèse reposent sur son ventre, le visage cireux, les yeux clos, la respiration définitivement suspendue dans un souffle qui ne viendra plus, tandis que les mains de Franck, dischroniques, frappent et tabassent la gueule déjà ensanglantée, depuis quelques minutes, de Karl, qui n’a rien, fait, qui n’a pas eu le temps de mettre ses mains en garde contre la volée, tandis que la main gauche de Marie berce l’enfant, la main droite sort le biberon stérilisé de la casserole, tandis que la main de Malik se pose sur le dos de l’homme qui dort près de lui, depuis toujours plus vieux que lui […]
February 10, 2007 · category [texte], [une]
Pour l’exposition “Alors / parmi cette armée Baisera Le Necrophorus” de Lo Moth [Magalie Daniaux et Cédric Pigot] qui se tiendra à la
Galerie Chappe [4 rue André Barsacq 75018 Paris – France] du 9 février au 3 mars, création du texte de l’exposition.
LO MOTH PROJECT ADVANCED PHASE
Distanciation particulaire : depuis la création de lo-moth company [LMC => Large Medium Creation], l’entreprise développe un ensemble strates en expansion. “As a dream”. L’expansion “as a dream” est un concept qui enveloppe l’ensemble des coordonnées sensorielles de l’être humain. C’est en ce sens que le centre chimique “Chemical and dreams company” établit des liaisons neuro-cognitives qui traversent : 1/ horizontalement l’espace et le temps; 2/ verticalement l’espace et le temps, et ceci selon la nécessité d’une expansion sensorielle maximisant la réception du sujet expérimenté l’homme. Les traversées opérées focalisent ainsi aussi bien des expériences sur les centres visuels, auditifs, tactiles.
Géostratégie sensorielle : la distanciation particulaire implique des formes typiques comportementales. [A] Au niveau sonore : le Betilyonis Soundlab a été imaginé comme zone de transition neuro-esthétique devant permettre une expansion de l’audition au niveau de la possibilité des fréquences enregistrables par le neurocortex. En effet, alors que l’appropriation du son par les systèmes hégémoniques de production sonore s’accomplit selon une logique du novsound [dérivation de la novlangue selon le ministère de l’information], ou encore Socio-Sound-Plat [SSP], suite aux recherches de Timothy Schulz & Eda Vronski, a été compris que l’amplification non pas du volume [quantity] mais de la courbure de l’onde [quality] provoquait une possible mutation du cerveau amenant certaines formes de comportements inopinés [ouverture neurotropique sonore]. L’expérience ainsi appelée SOMNOLDOM du 7-8 octobre 2006 [GTM – Rue Cadets de la FRANCE LIBRE – PARIS] a montré qu’un marcheur régulier pris dans le faisceau ondulatoire maximisé mis en place par le LMC, était irrémédiablement placé pour un temps indéfinissable dans une position longitudinale hypnotique, l’amenant à se désolidariser de toute attache contextuelle pour entrer dans une zone de transition neuro-esthétique [techno-hub-dilatatoire]. L’impact sonore n’est en ce sens ni mélodique, ni harmonique, mais il est granulaire. Loi sonore : dilatation interne de chaque particule sonore et enchevêtrements ondulatoires. [B] Au niveau visuel : les recherches avancées par le LMC se situent aussi bien au niveau de la dilatation statique de l’image et ceci par fragmentation particulaire de la vue qu’au niveau de l’image animée. Les documents fournis par la LMC montre l’insistance organique des logiques graphiques et cinétiques produites. Ici s’accomplit précisément la logique “as a dream”. Au niveau graphique au lieu de réduire les expériences à la synthèse cognitive d’une image, est déployé par la dilatation et l’expansion des molécules graphiques, une surface de transition pour le regard le conduisant à explorer à la fois horizontalement/verticalement la production, mais aussi en profondeur. Effet de surface paradoxale : l’oeil devient tactile, l’oeil devient une pointe qui explore l’endroit et l’envers de ce qui est donné à voir. Au-delà donc de tout aplanissement graphique, la perspective crée une matérialité organique qui transforme l’oeil, le métamorphose en un organe de préhension visuel qui traverse les 3 dimensions de la surface. De même l’image dynamique, ou encore la durée vidéographiée défie l’ensemble des lois imposées à l’individu qui gouvernent la linéarité existentielle de DROHOBYCZ. [RAPPEL : “Une existence n’est vraie que si elle accomplit la ligne droite des étapes fixées a priori par le ministère de la vie et de la santé mentale” art.2, alinéa-45]. Les expériences menées sous le nom de GARBIDZA par Timothy Schulz et Bruno Leary, contreviennent totalement aux axiomes existentiels de la vie formatée et de toutes les lois qui l’enclavent. La narrativité vidéographiée est celle insistante non pas seulement de courbes, mais d’un ensemble indéfini de lignes possibles qui se croisent, se télescopent, se rappellent et se disjoignent. [C] Au niveau olfactif : à la pointe des nouvelles technologies, la LMC a compris que le vecteur privilégié de l’inter-action sensorielle ne tenait pas seulement à l’oeil ou à l’ouïe, mais aussi au système olfactif. C’est en ce sens que travaillant avec les plus grandes industries, la LMC a développé certains systèmes de dilatation esthético-cognitive liés à l’odeur. Ceci est apparu lors de leur intervention en Thaïlande, à la demande de certaines institutions [document classé, n°321-XX-34E], où ils ont réussi par la production lente et prégnante d’odeur de caoutchouc à créer une image mentale accompagnant l’installation visuelle des agglomérats de pavés de caoutchoucs. Image mentale de l’étouffement programmé de la terre, de la dévastation selon la loi Kapitalism Perte & Profit [KPP]. [CCL] Nous comprenons que la LMC développe non pas un projet inoffensif, mais bien un ensemble de procédures matérielles scientifiquement pensées, devant permettre une mutation sensorielle. La création matérielle a ainsi comme loi de propagation : la molécularisation sensorielle, l’hybridation neuro-esthétique.
LO MOTH Phase avancée : suite aux résultats positifs des derniers dispositifs que la LMC a obtenu, notamment dans l’approfondissement des éléments déterminants la logique “as a dream”, son nouveau projet se constitue comme l’expansion exponentielle de l’immersion neuro-esthétique et ceci selon un protocole tridimensionnel devant permettre un nouveau degré d’interaction avec l’agent humain. A partir des recherches les plus pointues sur les nanoparticules sensorielles [particules de Quinton minéralisées] et d’agencements esthético-sensoriels, la finalité est de produire tout à la fois une perte totale de repère sensoriel, et cependant de permettre une densification organique de chaque participant de l’expérience. En ce sens, la tridimensionnalité est à la fois sensorielle, spatiale et cognitive, elle obéit à une translation quasi-alchimique. [1] Dissolution des repères sensoriels : pour produire la perte des repères, est accomplie une phase au noir qui logico-esthétiquement se calque sur la prolifération particulaire des images fixes dont nous avons déjà parlées. Un ensemble de 300 carrés noirs de 30X30 cm va être agencé. Chaque carré peint est lui-même incisé selon une logique aléatoire et imperturbable devant produire un brouillage perceptif du noir selon la série des stries. Par le jeu entre la macro-dimension noire et les micro-incisions, une déflagration sensorielle est provoquée, conduisant le regardeur à ne plus pouvoir trouver d’assise à son regard. Du fait de la série aléatoire des incisions, il est dépossédé de la partie rationnelle de la saisie sensorielle et éconduit dans un mouvement quasi-infini de la perception visuelle. Dissolution de toute certitude : il fait face à une mécanique glaciale qui pourtant se donne à voir selon l’indéfini d’une production vivante, celle du geste de stries. Cette première phase de dissolution introduit la molécularité qui va se retrouver dans les deux autres phases. [2] La seconde phase est celle d’une imprégnation olfactive de Haute-technologie-Immersive [HTI]. A partir des recherches sur le Quinton, particule plasmatique ayant une forte incidence sur l’homme, et des propriétés positives sur le comportement, il s’agit pour la LMC de transférer le champ particulaire visuel au niveau d’un champ particulaire qui invisible s’intègre et s’assimile dans le corps lui-même. De la position enveloppante de la dimension#1, il y a translation, l’enveloppe devient le corps et les particules sont implémentées dans celui-ci et font effet de l’intérieur. Ceci devant produire une forme d’euphorie esthético-cognitive impliquant une dynamique motrice singulière pour chaque participant. [3] Et c’est à partir de là que peut enfin se reconfigurer l’existence du participant, et ceci selon un transfère symbolique inversant la logique institutionnelle et sociale. Pour la troisième dimension, la LMC a travaillé de même avec une entreprise à la pointe dans son domaine : les minéraux de sel. De l’obscurité de l’oeuvre au noir, nous passons à la clarté de l’oeuvre au blanc. Le sel agit comme catalyseur qui aspire la négativité de l’expérimentateur et la focalise dans son volume. La boucle alchimique s’effectue par la confrontation à une oeuvre de sel, qui est l’exorcisme accompli de l’immobilité existentielle première.
December 15, 2006 · category [anthologie], [texte], [une]
[extraits publiés dans En tous lieux nulle part ici [une anthologie], de Henri Deluy, éditions Le bleu du ciel, collection biennale internationale des Poètes en Val-de-Marne, 270 p. // Ces deux extraits sont tirés de Poétiques de la méchanceté]
autres extraits :
[+] [Preuve n°7 ] La femelle du Requin n°25. [lire sur leur site]
[Preuve n°21 ] La femelle du Requin n°20 [lire sur leur site]
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[fait divers#2]
Paris — octobre 1994
soit [a] et [b], couples, amis, amants, jeunes c’est certain, les photographies en témoignent, jeunes à la gueule d’ange.
Soit [a] et [b], garçon et fille, plus vraiment adolescents, milieu bourgeois, étudiants, ne laissant rien paraître, un bref ralenti sur leur silhouette.
En 1994 est sorti au cinéma un film de Oliver S., qui s’appelle natural born killer.
Soit [a] et [b], deux adolescents qui ont vu le film de Oliver S. Ce film selon un certain nombre de critique, mais aussi de sociologues, mais aussi de psychologues ou de psychiatres, pourraient avoir des incidences directes ou indirectes sur le comportement et les représentations des adolescents. Or, [a] et [b] sont encore par leur comportement, et non plus par leur âge, des adolescents. Se pourrait-il alors que l’influence du film d’Oliver S ait eu lieu sur ceux-ci ?
Est-ce que l’événement tiendrait davantage du cinéma américain que des faits réels qui se déroulent dans le monde des hommes et des animaux ?
Soit [a] et [b], deux adolescents, bourgeois, qui ont vu — comme un certain nombre d’autres adolescents — le film natural born killer d’Oliver S. ; deux adolescents, à l’allure bourgeoise, un peu rebelle, qui marchent dans une ville, sans savoir que des psychologues ou des psychiatres pensent qu’un film peut avoir des conséquences directes ou indirectes sur le comportement et les représentations.
Soit [a] et [b], adolescents aux signes distinctifs : néant, près de Pantin, un 4 octobre, pas loin de la ville que l’on nomme la capitale.
Soit [c], travaillant à Pantin, tenant la pré-fourrière, face à lui deux adolescents, un 4 octobre, pas loin de la capitale, deux adolescents, dont il ignore qu’ils ont vu natural born killer, film d’un cinéaste qu’il ne connaît pas, et dont il ne sait pas que des psychologues ou des psychiatres s’interrogent sur les conséquences aussi bien au niveau du comportement que des représentations.
Soit [a] et [b], deux adolescents armés, dans la capitale, un 4 octobre, armés et jouant ou ne jouant pas, le film natural born killer d’Oliver S., dont un certain nombre de psychologues et de psychiatres peuvent penser qu’il implique des conséquences directes ou indirectes sur le comportement des adolescents.
Soit [a] et [b], dans un taxi, le chauffeur [d], en joug, ainsi que le passager. Un 4 octobre dans Paris, deux adolescents, comme les autres, de gauche, CGTiste et peu à peu isolé dans un squat.
Soit [a] et [b], à bout de souffle, déjà [d] abattu, ayant voulu fuir après une collision avec une voiture de police et la mort de 3 d’entre eux. [a] et [b], sorte d’avatar réel de bonnie et clyde, d’un héros gordardien tiré de Pierrot le fou, qui ont vu le film natural born killer d’Oliver S. et dont ils ignorent que certains psychologues ou psychiatres pensent qu’il peut avoir une influence directe ou indirecte sur les comportements et les représentations.
Soit [a], jeune femme, qui vient d’obtenir le bac, et dont le père entend des voix depuis l’âge de 15 ans, mais dont il ne faut pas parler.
Est-ce que l’origine du mal peut tenir dans une logique congénitale ?
Soit [b], de 4 ans l’aîné de [a], fils d’ouvriers, en étude de philosophie, qui peu à peu s’est désocialisé. Est-ce que l’isolement peut être l’origine du mal.
Soit [a] et [b], 21H50, un 4 octobre en fin de course, [b], jeune homme comme les autres, mais mort, après une deuxième fusillade, et [a] penchée sur le visage de ce compagnon sans vie, à l’embrasser.
Est-ce que l’amour furieux peut-être l’origine du mal ?
[fait divers#4]
Noeux-les-mines Janvier 2004
Soit [a] vivant avec [b], tous les deux de même sexe, homme ou femme, peu importe ?, non, sur les photographies c’est évident « hommes », sans doute rien n’aurait eu lieu de la même façon s’ils avaient été tous les deux femmes.
Les fantasmes sont-ils de même nature selon les sexes ?
Soit [a] et [b], deux hommes, vivant depuis deux ans à Noeux-les-mines, Nord, habitant auparavant à Lens. [a] et [b], ni frères, ni père et fils, ni seulement amis, mais amants et aimant, depuis quinze ans installés ensembles, à vivre leur relation, souvent caché, peu visible.
Soit [a] et [b], amants et aimant, homosexuels dit-on, « pédé » dit-on encore, en tout cas désignés souvent péjorativement, alors même que le plus souvent ils vivent cachés, « discrets » dira un voisin, lors de l’audition au tribunal.
Soit [a], « gentil et serviable » dira encore un témoin, loin de toutes les images véhiculées sur l’homosexualité, et pourtant « pédé » dit-on souvent péjorativement tout autour de lui à Noeux-les-mines, ville du Nord où la virilité flamande est encore de rigueur, où les crânes rasés ne sont pas rares, ni non plus les dérapages verbaux.
Soit [a] et [b] vivant encore à Lens, harcelés continûment explique leur avocat, décrivant les faits : insulte marquée sur leur mur de maison, la porte de leur maison incendiée, coup de tournevis dans le dos de [a], tout cela non sans raison, tout cela parce qu’ils sont « pédés » dit-on communément et souvent tout autour d’eux.
Est-ce que la sexualité peut être un motif de violence ?
La différence de l’autre est-elle la suprême offense à l’insouciance de sa propre identité ?
Soit [a], dans le jardin de sa maison de Noeux-les-mines, au mois de janvier, avec la crainte au ventre, car harcelé continûment, il éprouve toujours une appréhension, ne sachant pas s’il ne va pas être insulté ou violenté.
Soit l’ensemble d’éléments [C], jeunes de la région de Lens et de Noeux-les-mines, qui ne supportent pas la différence, ne supportant pas donc l’homosexualité, ni non plus les maghrébins, ne supportant que ceux qui leur ressemblent et donc qui pourraient appartenir à leur ensemble [C].
Soit [C], ensemble d’individus, assez jeunes, pour certains mineurs, ayant tous l’habitude d’harceler le couple [a] et [b], parce que ce sont de « sales pédés et qu’on aura leur peau ».
Soit [C], un après-midi de janvier, tous les éléments n’étant pas dans l’ensemble, mais les plus forcenés étant là, se disant qu’il serait bien de donner une bonne leçon à ces « pédés ».
Soit [C], un peu désoeuvré, ressemblant aux personnages de la vie de jésus de Bruno D., ne sachant que faire, mais voulant donner une bonne leçon à [a] ou [b], ou [a] et [b]. Soit [C], en cet après-midi, muni d’essence, trouvant [a] dans le jardin de sa maison et l’aspergeant puis y mettant le feu. « Vous comprenez on voulait lui donner une bonne leçon à ce sal pédé ».
La différence est-elle le début de la haine ? La méchanceté serait-elle la même, face à l’identique ?
Soit [a], brûlé, un voisin témoin, brûlé au troisième degré à l’âge de 38 ans, tombant alors dans le coma.
Soit [a], défiguré, et choqué définitivement pour sa différence, témoignant d’aucune haine mais de son seul dégoût, de son incompréhension.
February 1, 2002 · category [texte], [une]
[lire la présentation]
Continuum
Reprendre la vie comme si rien ne s’était passé, comme si j’ignorais ce qui s’est produit, regarder les autres et ne rien dire faire semblant de … Théâtre = à la fois être le corps de cet autre, être le corps à savoir être sa langue, l’incarner, dire au rythme d’un dire qui n’a jamais eu lieu ailleurs que dans la fiction faite d’une présence qui aurait pu être réelle & dire le texte qui est attendu déjà écrit. Théâtre = scène ici ouverte d’un texte qui se produit en improvisation, comme si la langue se répétait dans l’immédiateté de sa première venue, le théâtre est le lieu des comme si … Théâtre = schizophrénie une meute en moi, eux encore là présents indélébiles toujours le goût amer & salé du sperme dans ma bouche, toujours la brûlure dans mon anus, toujours l’odeur aigre de l’urine, toujours leurs rires toujours les ecchymoses de leurs coups toujours le vacarme de leur musique toujours leur visage collé contre mes yeux. Théâtre = aussi la scène du mensonge, puis-je lui dire, lui avouer, tirer dans ma bouche les mots du secret traverser la distance me relier rompre le différé sentir autre chose que la culpabilité. Théâtre = bouche + corps + lieu + mouvements + intrigues + regards dressés à regarder + bouche ouverte + respiration + yeux clos + portes claquées + apartés + didascalies + lèvres closes + répliques tirées vers l’ellipse + calcul des pas + la distance + mécanique intransigeante + secrets + secrets avoués + oui c’est certain les secrets se disent au théâtre c’est ce qu’on appelle le dénouement + corps masqué + immobilité + visage grimé + seconds rôles + fantômes + attente + articulations + gestes de la main qui traversent l’air pour gifler une figure + lettres anonymes + rebondissements + élasticité du temps + corps nus corrompus éreintés transpirants + face à face + dos à dos + rideau levé baissé levé baissé ce qu’on appelle les actes + la saccade des hésitations qui instaurent la connivence avec le spectacteur + le noir qui entoure la pupille lumineuse de la scène + les sourires + la tête baissée + la proximité + les cris les larmes les nerfs les drames les hurlements les insultes + le regard droit sans faille + le masque encore & toujours celui de la voix de la bouche qui articule en mot le crâne qui s’est travesti en l’altérité charnelle du fantôme + la profondeur épaisseur largeur longueur du lieu + les diagonales + les murs + la répétition … Impossible théâtre avec elle, impossible jeu le mensonge ne peut être que réel, savoir que durant nos étreintes elle touchera & enfoncera son index dans l’anus violé, qu’elle glissera sa langue dans la bouche qui a sucé des sexes anonymes, qu’elle avalera mon sperme mélangé aux leurs, qu’elle jouira de ma castration indépassable, qu’elle me dira des mots qui ne me feront pas oublier la haine déferlante de moi à moi, comment me cramponner au théâtre. Impossible théâtre car la durée n’a pas de recul n’a pas de répétition n’a pas d’entracte n’a pas de première & de finale n’est pas la combinatoire d’une mise en scène de boulevard qui s’achève dans un tout est bien qui finit bien. Théâtre du corps = lieu tragique de la souffrance réelle d’une effraction de moi à moi qui n’a de recul que la violence qui m’éperonne, le dégoût les clous qui transpercent les vertèbres & griffent jusqu’à l’abandon de soi la moelle. Théâtre de la présence se débattre sentir qu’on m’a mis un sac plastique sur la tête pour que j’étouffe mime seulement cris sans puissance qui ne franchissent pas la surface translucide; me débattre claustrophobie généralisée, un univers me comprime la cage thoracique prête à éclater ne plus pouvoir respirer. Mais là oui le trou dernier avatar du théâtre de mon corps le trou qui s’ouvre comme les ouïes des poissons, qui s’ouvre se dilate & absorbe l’air. Théâtre de la mutation, théâtre de la transgression, non plus théâtre mais peut-être cirque. Animal de cirque, je danse face aux autres, tais la douleur qui me permet de faire le numéro, tais les efforts qui m’ont conduit à ce naturel. Ne pas mentir,ne pas, ne pas me faire autre. Continuum = recoller le recto du 24 décembre & le verso du 26. Recoller cicatriser, abraser la trace. Qu’il n’y ait plus rien. Mais comment recoller, une chienne de douleur gratte dans mon crâne, fait suinter la blessure. Reprendre comme si rien ne s’était passé : formule absurde qui exigerait l’amnésie pour s’y tenir, formule liée à l’illusion de la mécanique. Reload. Mémoire effaçable. La douleur, elle vorace n’est pas de cet ordre. Savoir que leur présence poursuit son enracinement, que la présence que mon corps leur accorde est l’ineffaçable du corps lui-même, qu’on ne peut prétendre le calmer, qu’on ne veut pas cet effacement de toute façon, qu’ainsi pressé je n’ai que l’endurance pour espoir. Faire comme si, impossible schizophrénie, devenir autre & oublier cette signature du corps / je le découvre certaines expériences ne peuvent être réduites par le comme si. Il n’a pas la force de reboucher les entailles provoquées par le choc de l’existence. Fiction : faire comme si serait en finir avec l’idée de l’affect propre à la rencontre des choses, les aspérités propres aux expériences seraient toujours le jouet d’une loi fondamentale qui est celle de l’oubli. Comment faire comme si lorsque dans ma chair, je sens encore là dans le corps là de part & d’autre là dans ma bouche & mon cul leur membre. Comment faire alors que la monstruosité de ce corps aux multiples sexes emplit toujours ma vue & terrasse mes tympans par la stridence de son râle de jouissance, par le raclement de ses tréfonds au moment de la jouissance. Comment faire comme-si quand je sais par avance que ce viol fait partie intégrante de chacun de mes souffles. Le continuum ce qui se poursuit dure, résiste à toute réduction à une suite de moment, évinçable lors d’un revirement d’humeur. Continuum mon corps sur lequel s’est frotté l’abject d’une crasse inaltérable. Continuer à parler à penser. Continuer de la voir & ne rien dire. Continuer = devenir le clinicien de moi-même, m’examiner scruter les changements physiologiques observer le vieillissement de mon trou. Il n’y aura qu’elle qui saura. Acceptera-t-elle de coucher avec moi, d’embrasser la lisière de mon trou ? Tiendra-t-elle le secret ? Au théâtre le secret n’a jamais lieu, au théâtre il est toujours le prétexte pour être dit. Tout levé de rideau représente le secret trahi. Au théâtre comme si a un sens pas ici. Au théâtre, il y a la foule qui, comme s’il y avait connivence, partage le secret. Le théâtre du corps ne supporte pas la trahison, il est la mise en scène du secret comme l’indicible de ses actes. Continuer = réalisme cru & sans illusion sur le temps, iréversible il multiplie l’entropie & met en charpie toute prétention à la ligne droite, à l’intrigue linéaire. Elle ne devra pas répandre la nouvelle, cela me transformerait définitivement en animal de foire, objet de toutes spéculations pour les nouveaux monsieur loyal du cirque moderne. Elle devra garder pour elle ce qui n’aura pas de mots par ma bouche. Elle devra conserver précieusement, presque pieusement, cette anomalie sans qu’aucune phrase ne se dise. Me tenir pour invisible. Me regarder comme le secret lui-même. Je serai le secret de son existence .
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