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Archive for December, 2014

D’un mot-au-mot poétique

« Le signifiant ne se constitue que d’un rassemblement synchronique et dénombrable où aucun ne se soutient que du principe de son opposition à chacun des autres »

Lacan

 

§.1

on l’aura répété, encore et encore, parlant de sa langue, oubliant que Tarkos parlait de la langue, non pas seulement de celle des poètes, mais de celle qui se donne partout, la langue, ce qui parle dans nos langues, on l’aura oublié dans la répétition, oui, le pâtemot se sera effacé dans sa répétition ; mais n’était-ce pas sa destinée, de se perdre dans le flux, de n’être saisissable que dans un flux … il est évident que la répétition évide, qu’elle agit par soustraction tout en s’additionnant dans un schème de composition, il est évident qu’à force de répéter tout motif se dissout, perd de son unité, ne peut plus qu’apparaître dans l’essaim linguistique dans lequel il est balancé ou happé

 

§.2

le pâtemot implique selon Tarkos, la rupture de la différance entre le signifiant et le signifié, à savoir qu’il y ait écart temporel, écartèlement entre la saisie et la compréhension, le signifiant n’étant autre que le signifié ; a priori il n’y aurait là rien d’étrange, sans le savoir sans doute, il répétait lui-même, ce que Lacan pouvait au titre de la lettre revendiquer comme rupture épistémologique par rapport à la théorie du signe linguistique ; à savoir non plus considérer que le sens ou la signification naît du point, de la signature d’une liaison entre mot et chose comme chez Saussure, mais que tout au contraire, de sens il n’y a, que dans la continuité d’une parole qui refuse de disparaître dans la seule ponctualité de la précision du mot renvoyant à une chose

pour reprendre Lacan, Tarkos se serait poser dans une algorithmisation du signe, afin que le signe ne puisse plus fonctionner comme signe (donc le signe devant alors s’écrire : signe), ne puisse plus s’individualiser comme s’il y avait dans sa seule présence l’idéalité d’un dire retenue par ailleurs dans l’idéalité signifiée ; on ne parle pas mot-à-mot (théorie atomique du langage) mais du mot-au-mot (logique de la trajectoire ou de l’ondulation) : histoire ainsi de vitesse, de déplacement de langue mobile ou bolide, en bolè, dans le trait de sa linéarité, saisissable seulement dans les frictions propres à la signifiance qui se tisse au gré des lignes continues de l’articulation

 

§.3 

rupture de l’écart entre signifiant et signifié, à savoir que de signifié du signifiant il n’y a pas dessous ou dedans le signifiant mais à côté, dans son déport dans sa différence, qu’elle soit dans la répétition de soi (Stein : a rose is a rose is a rose) ou encore dans sa propre permutation, ou bien dans la survenue d’un autre signifiant ; cela signifie que le mot ou le signe n’est plus la différence de la chose, mais qu’il est chose qui fait sens dans l’association linguistique des signes ; dire le chat n’est plus renvoyer au chat qui serait là-bas, phénoménalement devant moi, ou encore comme référent empirique qui aurait comme modalité la réalité, mais dire le chat, n’est rien d’autre que le chat-dit, la langue donnée au chat, le chat chosemot, qui n’aura son sens que par sa liaison rythmique avec la composition linguistique où il s’imbrique, car de chat il y en a que dans la con-textualisation algorithmique, de fil en aiguille, le chat, miaou-miaou, petit chat ou chatte enfiévrée, on le sait, c’est du chaînage que la signifiance du chosemot naît, donc du pâtemot

 

§.4 

par cette rupture de la différance signifiant/signifié, apparaît alors une autre manière de voir, on ne voit plus par report, en reportant le signe intelligible vers le sensible absent de l’intelligible (donc dans l’hypostase de la différence ontologique entre l’être dit et l’étant référé), mais on voit dans la seule dimension mentale de la vitalité du chosemot et de son inclusion dans le pâtemot, le monde n’étant autre que l’articulation dans le pâtemot, à savoir dans le flux continu du mot-au-mot  

 

 

§.5

mais comment ne plus tomber dans la pose, l’arrêt la suspension qui est propre à l’unité : répéter c’est évider disions-nous ; pour percevoir le pâtemot, il faut délibérément soustraire le signe à sa saisie immédiate, soit 1. une stratégie du flux, de diarrhée verbale ou de logorrhée, de ce qui ne peut s’arrêter ; soit 2. une stratégie de la répétition évidante ; répéter n’est pas marteler pour fixer, mais c’est mâcher le mot jusqu’à ce qu’il ne puisse se donner que dans le chaînage de sa répétition, dans le tournant même de son déport dans le répété, à savoir dans le flux même de sa différence (et ici on le pressent il y a une certaine proximité avec la ritournelle de Deleuze) ; alors que l’on voit depuis quelques années un certain nombre d’expérience qui se positionne selon une même idiosynchrasie, en quelque sorte dans un certain horizon ouvert par Tarkos, ou bien la poésie faciale avec des poètes tel que Pennequin, le martèlement ne semble pas de même nature ; souvent il est là pour fixer, figer, marquer et signer la place du signifiant en le soumettant à la surexposition du signifié ; c’est ce qui ressort de l’usage de termes scatologiques ou organique du corps, usage souvent maladroit, au fonds de commerce prévisible ; attitude contradictoire s’il en est avec ce que tentait Tarkos, y compris dans ses mentions scatologiques ou pathologiques ; répéter c’est soustraire, c’est impliquer une destruction de la fixation dans un signifié : si le signifié se donnait immédiatement pourquoi répéter ? répéter c’est forcer le signifié classique à se perdre, c’est en poser l’absurde prétention à se donner comme terme ; la répétition justement abolit le terme dans la dia-bolique du transfert, conduit donc au signe à savoir la signifiance

 

§.6

cette mise en œuvre de la soustraction du signifié, cette diabolique du transfert propre à la constitution de la signifiance, se donne dans des stratégies précises : anamorphose, réversibilité, déplacement du verbal au nominal, combinatoire ou permutation des associations, etc… à savoir dans des articulations ou des compositions, la textualité mâchée, parlée ou écrite, est le lieu même de l’expérience du pâtemot ; et c’était bien-là que Tarkos se situait, en provoquant un tel envoûtement ; alors que la poésie lyrique emporte par la musicalité de  sa textualité et un jeu métaphorique qui se fonde proprement justement sur la différance entre signifiant et signifié, alors que la poésie moderne a posé le langage comme ce qui se brise sur le réel, venant témoigner de l’aporie du dire, se disposant en confrontation au trou (au –1) qui est à la fois supposé et interdit de langue, l’articulation de Tarkos se pose à distance de ces positions, créant par la continuité de l’articulé le miroitement d’un sens qui n’en finit pas de se présenter en tant que  seulement ce qu’il y a entendre, mais jamais clos, comme si, toujours, par le jeu de l’algorithme du pâtemot, il y avait toujours un reste à dire, la nécessité d’un c’est-à-dire, qui n’est ni extérieur au dire (le –1), ni à côté du dire (la chose), mais qui est le dire lui-même ; joie impérieuse à l’écouter, entendre le dire dans sa restance, à savoir dans la ligne toujours déjà à-venir de la vie du dire qui s’invente signifiante

De l’infantilisation des individus

Ça y est, le volet juridique sur les stupéfiants est annoncé suite à la remise du rapport du MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la dépendance et la toxicomanie). Enfin, une réforme des lois de 1970, réforme qui amènerait, qu’au lieu des 1 an de prison et des 3750 Euros d’amende pouvant être prescrits, le prévenu n’aurait plus que dans l’hypothèse de Sarkozy 1500 Euros d’amende, ou dans l’hypothèse souhaitée par le MILDT ou le ministère de la santé une amende de 135 Euros. La première solution imposant un passage au tribunal de Police et une mention dans le casier judiciaire (amende de catégorie 5), la seconde, n’étant qu’une amende de catégorie 3 ou 4 sans inscription au casier.
Ça y est, enfin on sortirait du volet très répressif des lois 70, pour des peines davantage propres à l’usager, ne le mettant point en marge de la société.
Et pourtant, comme de nombreux analystes, peuvent le suggérer, loin d’être une avancée vers une plus grande tolérance, une telle réforme renforcera l’interdiction. Pour quelle raison ? Parce que tout simplement, ces lois de 1970, à de rares exceptions, n’étaient plus appliquées, n’étaient plus adaptées pour le cannabis, ayant vu au tournant des années 80-90, une forte proportion d’adolescents et d’adultes de moins de 35 ans, être des consommateurs. Parce que tout simplement, sous la gauche — ici il faut bien l’avouer — il y a eu une plus grande tolérance vis-à-vis de l’usage des drogues douces, amenant, que la consommation ait pu se banaliser fortement dans tous les milieux de la société française, des cités aux appartements cossus et bourgeois des centre villes, sans pour autant créer une catastrophe sociale, sans pour autant amener la grande partie des consommateurs à se marginaliser.
D’un coup par cette loi, et sa possibilité d’être mise en pratique immédiatement sur le terrain, avec un simple PV, une simple amende, revient la possibilité de sanctionner cet usage, revient la possibilité d’actualiser l’interdit, qui n’était plus, du fait de la loi de 70, qu’une sorte de puissance abstraite, sans véritable actualité pour la grande partie des consommateurs.
Oui, en effet, cette réforme, voulue par Sarkozy, pour qui assurément comme il l’a dit il n’y a pas de drogues douces, mais pour qui toute drogue est dure, n’est pas un pas vers la tolérance, mais un pas de plus vers la surveillance et la mainmise du pouvoir biopolitique sur le corps. Un pas de plus, pour déposséder l’individu de son existence, en faveur de la morale du corps qui est mise en avant par l’idéologie politique qui est sous-jacente à la droite.
En effet, chose étrange, cette droite, si prompte à vouloir tout libéraliser économiquement, à tout vouloir privatiser et libérer des contraintes de l’Etat et de sa mainmise, n’a pourtant de cesse de vouloir arraisonner le corps individuel et sa liberté de jugement en ce qui le concerne, n’a de cesse de vouloir phagocyter la vie individuelle en criant haut et fort que ses décisions sont non seulement morales mais en plus établies sur des principes vrais en ce qui concerne l’individu. Car, n’en doutons point, eux, les gouvernants, du haut de leur chaire, savent ce qu’est l’essence humaine, mieux que quiconque !
Il n’est que de dire cela, pour se rendre compte, que ce gouvernement, est bien l’un des plus répressifs au niveau de la liberté individuelle, mais aussi les plus régressifs quant à sa conception de l’essence humaine. Ainsi, faisant fi du fait qu’historiquement, la morale a été balayée magistralement par la philosophie, au point que Sartre puisse dire que non seulement nous sommes condamnés à notre propre liberté, mais qu’en plus que « notre existence précède notre essence », ce gouvernement en vient — par la voix de son héraut — à défendre une vérité morale de l’homme que seul l’Etat pourrait non seulement garantir, mais en plus définir en toute vérité.
Or, est-ce vraiment le cas, est-ce que cette « élite » engoncée dans ces certitudes, et pouvant même se lier à des médias privés faisant commerce de la TTV (Trash-TV) peut prétendre avoir sans en douter le discours vrai ? Est-ce que ses critères — qui fondent le bien et le mal de la santé individuelle sur la seule longévité de la vie — sont assurément établis en vérité ?
Artaud en son temps répondit déjà à un tel type de censure, à un tel type d’interdits fondés sur la morale et ceci dans sa « Lettre à Monsieur le Législateur de la loi sur les stupéfiants » de la loi de 1917 et 1917, portant en partie sur les opiacés. En partant du fait que « tout homme est juge, et juge exclusif, de la quantité de douleur physique, ou encore de vacuité mentale qu’il peut honnêtement supporter », il expliquait que seule un individu peut juger des moyens propres à lui-même pour supporter l’existence, et selon lui, cette « angoisse qui fait les suicidés », « qui pince le cordon ombilical de la vie ». C’est en ce sens, que fustigeant « la tradition d’imbécillité » suivie par ce législateur, il pouvait dire en dernier ressort que « toute la science hasardeuse des hommes n’est pas supérieure à la connaissance immédiate avoir de être ».
Ainsi, la question de la législation, n’est pas seulement à inscrire dans une politique de santé publique, mais à remettre en rapport avec la définition politique de l’individu et de sa mise à disposition de la part du politique. Nous le comprenons, alors qu’en cette époque, le politique semble démissionner pour une grande part au niveau de l‘éducation et de l’intellect des individus, ne venant d’aucune manière s’interroger sur le contenu de l’éducation médiatique diffusée avec son aval, il n’a de cesse par contre de venir le contrôler, le surveiller en tant qu’existence, l’amenant à ne plus pouvoir se sentir responsable de lui-même, mais seulement en état de minorité, d’assister, et ainsi infantilisé n’ayant d’autre recours quant à sa vie et ses accidents que d’invoquer l’Etat comme s’il s’agissait de son nouveau Père de substitution.

Premier Manifeste pour une Poésie Action Numérique (PAN)

Le terme de poésie action a été introduit depuis maintenant plus de 50 ans par Bernard Heidsieck. Il le définissait selon une forme de nécessité d’arracher la poésie de sa passivité textuelle. La passivité textuelle est à comprendre comme la poésie faite pour les livres, une poésie déposée au creux du livre et qui au mieux est réactivée par la lecture de l’auteur (tant d’auteurs pensent faire soit de la poésie sonore, soit une action poétique, alors qu’ils ne font qu’interpréter un texte, y rester coller, sacralisant leur texte au point d’amener le livre édité lui-même), tenant avec grâce son livre, entre ses mains, la tête droite, assis, avec quelques techniques de sonorisation faites pour l’empathie de l’écoute. “Faire faire à la poésie ce saut hors de la page — révolutionnaire en soi, reconnaissons-le, reconnaissez-le — cela après un nombre de siècles d’intimité amoureuse, de jeux, de connivences et complaisances avec la typographie, c’était un peu comme procéder à une césarienne.” (Notes convergentes, p.168).
Car, oui, la poésie action, et une de ses modalités la poésie sonore, s’arrache de la sacralisation du support papier, du cadre d’écriture, pour poser une poésie action directe, pour reprendre les termes de Heidsieck. La poésie pour lui se devait d’agir, d’être “dans l’instant, nue, sans filet ni circonvolutions.” (p.285). La poésie action vient rompre la distance du lecteur-poète avec son texte, cette distance qui se crée dans la lecture, dans l’écart qu’il y a entre un texte et son auteur. Avec la poésie action, c’est dans le moment de vie du poète, dans l’instant de la perfomance, que se crée la poésie, elle ne préexiste qu’en tant que potentialité qui pour s’actualiser exige la vie, la voix, le corps, le dispositif impliqué par le poète. “L’oeuvre et l’être, l’espace d’un instant ne font plus qu’un” (p.285).
La poésie action numérique prolonge cette perspective, mais redéfinit de fait, par les médiations qu’elle utilise, certaines conditions ou déterminations de la poésie action pensée par Heidsieck ou bien Julien Blaine.

 

Transformation de l’espace
La relation à l’espace dans la poésie action est celle de la contiguité des éléments de la performance. Le lieu n’est pas neutralisé, n’importe quel lieu n’est pas identique à n’importe quel autre lieu. Si, en effet, cette poésie plonge dans l’instant de sa présence le poète, alors il est en synergie avec l’espace, il peut en jouer, il se place en relation de contiguité aussi bien avec le plublic, qu’avec les divers éléments qui en constituent l’espace. C’est ce qui définit parfaitement les interventions de Julien Blaine, telles ses déclar’actions : elles viennent habiter le lieu, il inclut dans sa déclaration/lecture, l’espace et agit dedans.
Mais la contiguité des éléments si elle peut être immédiate, elle peut aussi être médiates si on imagine un dispositif à distance, l’usage de certaines médiations, telle Esther Ferrer qui en 2008 à Périgueux lors du festival Expoésie, utilisant un micro-audio sans fil, accomplit son action, à la fois sur scène et dans la rue, les spectateurs dans la salle continuant à l’entendre.
Mais pour revenir à la contiguité dans la poésie action, revenons sur le dispositif qu’a créé Bernard Heidsieck. Dans ses lectures, le poète est en relation avec une bande qui se déroule au fur et à mesure de sa lecture. Tous les éléments sont dans un même espace. La voix du poète ne vient pas transformer ce qui a lieu, elle s’y mêle, elle s’y colle pour créer la dimension réelle de la poésie. La bande seule est ainsi incomplète sans ce supplément de vie qui ne peut avoir lieu que dans le moment de la lecture. Cependant, et c’est là une des limites de la poésie action de Heidsieck, parce que la bande est préenregistrée, la poésie sonore, si en effet elle est vivante de par la présence du poète, elle en reste à un temps et une matière très déterminée, voire peu changeante au sens où le résultat pensé implique spécifiquement la présentation publique, et une forme de lecture qui va être maîtrisée.
Les actions si elles interviennent sur ce qui a lieu, comme Henri Chopin accélérant ou ralentissant une bande, comme le poète performer manipulant des objets (telle la PTT de Michel Giroud, pouvant jouer avec de très nombreux objes mis en place dans une relation linguistique, ou bien encore des performances comme Ec’fruiture de Julien Blaine, etc…) reste que ce qui est vu par le spectateur est toujours ce qui est là, dans une relation matérielle. L’intervention est celle d’éléments empiriquement donnés, analogiquement définis et posés dans une relation de contiguité. Le corps explore les potentialités présentes dans la dimension physique, et joue selon les déterminations physiques spécifiques, obéissant aux logiques d’interaction permises par les différents éléments. De même les lectures vidéos ne se démarquent pas de cela, l’écran est un élément juxtaposé, et quand par exemple Joachim Montessuis développe sa poésie bruitiste improvisée en même temps que La danse des fous, alors il y a rapport entre des éléments présents, ils se combinent et s’affectent, mais on en reste à la relation d’éléments donnés dans un réel empirique.
Dans chacune de ces créations le poète rencontre des éléments, rencontre de la matière dans son action, mais celle-ci est constituée dans un monde qui nous apparaît immédiatement. Les actions du poète ne dépassent pas le cadre de cette dimension et des relations déterminées spécifiquement selon les modes de chaque élément.

Interaction avec la voix
La voix frappe le tympan. La voix frappe les murs. La voix agit par sa tonalité, la voix a beau crier jamais la tasse ne bougera, la voix peut être amplifiée, jamais elle ne fera pas bouger les murs. Tout au plus, parviendra-t-elle, par son souffle, à déplacer quelques bouts de papiers, à faire s’envoler une plume de duvet, à faire vibrer par infra-basse un mur. La voix souffle, elle reste matérielle, même si sa matérialité peut bouger les esprits, peut foudroyer un corps, notamment par amplification, peut intensifier les sensations et nos affects (travail sur les fréquences entre autre).
La voix pourtant peut devenir, si elle est captée, interactive avec tout un monde. La voix par l’extension du virtuel numérique peut devenir aussi physique qu’un corps solide, peut pousser, arracher, déplacer, accélérer, arrêter, faire tourner, la voix peut générer, faire naître des matérialités hétérogènes avec sa propre nature. Ex.1 : Si on considère par exemple la performance de Philippe Castellin, la poésie n’est pas, on s’aperçoit que si pour une part, il est dans une poésie action avec projection vidéo (montage des scènes de cinéma où dans la traduction apparaît le mot poésie), il dépasse la seule dimension de contiguité entre des éléments présents, par le fait que la voix va venir transformer ce qui est vu : notamment des énoncés qui se créent aléatoirement, et qui selon certains accents de la voix vont être amplifiés visuellement. On entre dans une trans-matérialité qui permet des effets synesthétiques. La voix se traduit en espace, elle devient matériellement entendue. Cette possibilité, cette extension de ses possibles est permise par la dimension numérique. Il n’y a plus juxtaposition des éléments dans l’espace, mais création d’un nouvel espace relationnel, et ceci par la traduction matérielle de la voix numériquement. C’est ainsi une interaction transmatérielle et transdimensionnelle qui a lieu.
La notion de virtualité numérique de la voix ne renvoie pas à une forme d’autre monde, mais bien davantage d’extension de la modalité causale de la voix. Le spectre de ses actions possibles est ouvert. Ce qu’elle déclenche n’appartient plus à la logique causale qui est ontologiquement rattachée à son être matériel. L’être de la voix s’ouvre davantage, déplie un univers de potentialités non explorables selon ses conditions ontologiques premières.
Ex.2 : Dans Idées noires, réalisées en avril 2008 à la SGDL, la voix devient matrice, générative. Selon les intensités de la voix, naissent des lettres à l’écran. Les fréquences spécifiques sont interprétées par l’interface numérique, et enraînent selon leur variation la création de particules de lettres qui tirent leur mouvement des intensités de chaque fréquence. La voix fait naître, donne vie matérielle, mais en plus elle est l’intensité des particules matérielles. Ce n’est plus le souffle matériel, mais la trans-matérialité permise par l’interface qui ouvre ce champ de potentiel.

On saisit ainsi qu ece qui détermine la poésie action numérique, tient au fait que le poète ou la création n’est pas saisie du point de vue de la permanence de l’être (vision essentialiste de l’oeuvre), mais bien plus elle est pensée selon la relation de l’action. Si on considère l’oeuvre et le poète selon une représentation ontologique de l’être, alors en effet on se coupe la compréhension de la relation. Tel que l’énonçait Heidegger, l’être-là, n’est pas une réalité en soi, sans porte et sans fenêtre, tel qu’il l’énonce reprenant la définition leibnizienne de la monade, mais tout au contraire, nous sommes toujours jetés dans un projet, nous sommes ouverture, non pas sujet ouvert, mais nous sommes le trait d’union entre le monde et la réalité matérielle de notre corps. Nous nous définissons comme action, comme mouvement, comme être-trans-actionnel.
De ce fait, ce qui importe, ce n’est pas la discrimination entre réalité réelle (ontologie de l’être donné nayurellement) et réalité virtuelle (sorte de réalité non matérielle), mais de comprendre comment si nous sommes d’abord et avant tout action, nos actions sont transformées du point de vue de leur potentialité enrencontrant ce qui est permis par les réalités et les interactivités liées aux dimensions numériques.

De l’espace
La poésie action numérique, met en question la dimension même de là où intervient la performance. L’espace n’est plus celui que je perçois physiquement, mais il peut s’ouvrir, il est celui où s’nscrit mes actions. L’espace, à savoir le lieu d’action poétique, le lieu où s’implique la présence du poète.
a/ Les lectures vidéos n’appartiennent pas à la dimension de la poésie action numérique. La lecture vidéo est la juxtaposition de deux espaces sans interaction entre les deux. Certes il y a relations, mais elles se définissent comme des interactions du sens, des échos, des adéquations, mais pas des interactions d’un médium dans l’autre. Tandis que le poète lit, ou performe, la vidéo se déroule, répond, les mots rebondissent sur l’image, mais la voix ne transforme pas le médium de l’image, comme celui de l’image ne transforme pas la matérialité de la voix. La poétique de ces performances est celle d’un simultanéisme matériel et du sens, celle d’un parallèlisme. Aucunement une poétique de l’interaction.
a/ Pour bien comprendre ce qui a lieu, il faut s’intéresser à ce que l’on nomme les réalités augmentées. Les réalités augmentées sont des transformations du réel à partir d’une captation. Les actions faites dans le réel quand on les voit capter, sont transformées, augmentées d’éléments numériques : images/vidéos 3D. Ce procédé transforme notre rapport à l’espace. Il n’y a pas un espace, mais plusieurs, et même on pourrait imaginer une forme d’infinité. Si la réalité c’est ce que je consruis par l’implication de ma conscience et de ses possibilités d’action, alors ce que je fais virtuellement est aussi réel que ce que je fais réellement. Je ne tiens pas un capteur, mais je tiens aussi un marteau, ou bien une épée de chevalier, ou bien encore un volant. Le virtuel, ou encore la dimension numérique n’est pas irréelle, mais c’est une extension de notre réel, la possibilité ici d’expanser l’ici de l’action selon de nouvelles possibilités, de le dilater, de le déplier, de créer une nouvelle perspective d’implication de la conscience et de l’action.
b/ La poésie action numérique, telle que nous devons la concevoir est liée aux avancées des réalités augmentées. Quand avec Hortense Gauthier, nous présentons Kleine Maschine[cf. Image 1], peuvent être observés plusieurs traits spécifiques : si Hortense Gauthier est sur scène simultanément elle se retrouve dans un espace qui augmente et prolonge sa présence empirique : l’univers où elle est impliquée est celui de la dimension virtuelle de l’écran où sa présence est resituée. Mais conrairement à une simple incrustation, sa présence est active dans cette dimension, elle agit dans celle-ci. Il n’y a pas contiguité mais il y a empiètement réciproque de l’un sur l’autre. Il y a entrelacement : un geste de la main peut changer l’ordre des phrases qui l’entourent, un souffle ou bien un cri, transformer des phrases, les accélérer dans leur déplacment, produire un chaos de lettres. L’incrustation, si elle est passive, elle ne peut prétendre à cette logique de réalité augmentée, c’est parce que le corps capté dans l’écran agit dans la réalité de l’écran et de ses élements, qu’il y a interaction. L’espace de l’écran n’est plus alors une réalité figée, mais bien un espace d’action, un espace d’action numérique.
c/ De même, la poésie action numérique permet une transformation des perceptions sensorielles des interactions. La poésie action numérique est la possibilité d’actions qui déplace les repères sensoriels, et les déterminations ontiques des composantes sensorielles : un son devient visuel. Une image devient sonore. La possibilité synesthétique des actions matériellement déterminées, ouvre à des opérations que l’on pourrait dire magique et des interrelations qui ont parti lié à l’art de l’illusionnisme. Si je considère la performance faite lors du festival acces-s avec Julien Blaine et Hortense Gauthier : Hortense Gauthier sur scène tourne nue sur elle-même, à l’écran on la perçoit au milieu de lettres : son mouvement détermine la luminescence des lettres : plus elle tourne vite plus les lettres brillent. Mais le mouvement des lettres est déterminé par Julien Blaine qui est de dos par rapport à elle et face au public. La voix de Julien Blaine agit sur l’univers augmenté de la présence d’Hortense Gauthier. Sa voix devient mouvement vibrant de particules de l’alphabet qui dans le crescendo de la voix deviennent tourbillon, cyclone.
La poésie action numérique ouvre toutes ces potentialités. La question de la synesthésie prend toute son ampleur avec les possibilités d’interactions. Il y a dépassement du cadre empirique donné et création de nouvelles relations sensibles entre les élements, qui amènent que chaque poésie action numérique propose une nouvelle logique de monde. Ainsi, dans une oeuvre récente [cf. Image 2], qui est un hommage à Anémic Cinéma de Marcel Duchamp (1926), reprenant l’esthétique des rotoreliefs, cependant, je la repose dans l’horizon de possibilités causales numériques. La matière 3D n’est pas préenregistrée, elle est produite non à partir d’élements matériels, mais à partir de la fréquence des sons. Ainsi que cela soit la texture visible, que cela soit les formes, que cela soit les mouvements, c’est l’analyse du son que je produis en temps réel, qui crée l’ensemble.

En conclusion provisoire à ces recherches. Il est très important de se rendre compte des enjeux qui ont lieu avec les technologies numériques, non pour tomber dans la fascination de la technologie, mais pour retrouver les accords magiques, de feu et d’intensité qui amènent que la poésie possède une vérité qui transcende le donné immédiat et constitué médiatement selon la rationalité. Si la poésie est faite de mots, ces mots ne sont pas fiés et établis dans le seul médium de l’écriture. Bien plus, le langage se doit d’investir toutes les dimensions de nos actions, toutes les possibilités de résonance de notre être-au-monde. C’est pour cela que la Poésie action numérique représente un tournant de la poésie action, non pas un affranchissement, mais une poursuite des enjeux de celle-ci dans le contexte époqual des possibilités de communication du langage.

Le bug de l’écriture

Mise en situation de la technologie
Bernard Stiegler, dans Réenchanter le monde, par son approche critique de l’intentionnalité occidentale, montre parfaitement, que derrière le tournant de la démocratisation de la technologie, s’est produit aussi un tournant de la sensibilité humaine. Tournant se constituant comme perte de l’attention, transformation des processus d’identification.
Toutefois, loin de se laisser aller à un constat seulement négatif, il montre en quel sens ce qui peut être un poison, peut devenir aussi de par la réversibilité de tout pharmakon, remède. Si la technologie, notamment à travers l’industrie de masse que représente le spectacle, néantit l’attention, au point de ne plus permettre de réel investissement sur des pratiques, cependant, en tant que moyen, potentialité d’existence, elle peut ouvrir l’horizon à partir duquel une forme de retournement s’effectue. De la passivité impliquée par la technologie, qui fait que l’homme est un ouvrier soumis aux logiques cybernétiques qui le cadenassent, peut se développer des armes qui remettent en cause l’idéologie dominante déterminant l’usage des technologies.
Pour bien saisir les enjeux de cette intégration du numérique au niveau des espaces scéniques, il faut tout d’abord comprendre quelle en est la nécessité. Depuis trente ans, l’accélération du développement du contrôle technologique des individus, du corps et des désirs, de la mémoire individuelle et collective, s’est constituée au niveau d’agencements qui dépassent le seul cadre de l’ordinateur, comme l’a très bien fait remarquer le Critical Art Ensemble, dans son essai La résistance électronique. De la vidéosurveillance, à l’ensemble des moyens d’existence, la possibilité du contrôle numérique est devenue générale, le lieu même de notre être. Heidegger sur ce point avait raison : nous sommes passés dans l’ère de la vérité de l’être réduite à l’essence de la technique.
C’est pourquoi le rapport à la technologie de métaphorique a pu peu à peu devenir le medium même des recherches. Aussi bien dans la performance comme avec Stellarc (1) (Third Hand), que dans la poésie, l’homme pouvant se transformer en technologie, comme cela est apparu dans les Événements 99 de Anne-James Chaton (2). Le poète est la membrane mécanique articulant tous les codes amassés durant la journée, liant cette liste au flux événementiel de l’actualité. Loin de toute dichotomie entre le propre et l’impropre, Anne-James Chaton est tout à la fois celui qui est articulé par la société du code commercial et celui qui en crée les micro-agencements, les micro-déplacements, les perturbations.

 

Accident d’écriture
Face à cette ère technique, la performance s’est elle-même transformée, et suivant plus ou moins ce qui était déjà annoncé dans La révolution électronique de Burroughs, a questionné les médiums afin de produire des formes d’accidentalité. Si d’un côté il est possible de représenter la question du médium et de son rapport au contrôle, comme par exemple le fait Magalie Debazeilles (3) avec C2M1 mettant en avant le développement et le déraillement du rapport de l’écriture aux technologies, ce qui serait plutôt du côté du théâtre, d’un autre côté la performance interroge la résistance des médiums eux-mêmes et ceci afin de se tenir dans la présentation médiumnique et non plus dans sa représentation.
Ce qu’il y a de commun dans toutes les technologies actuelles tient à l’écriture du code, et à la logique algorithmique. Le code en tant que procédure de traitement est lui-même pensé comme un support immatériel qui permet la reproductibilité infinie, la mémoire inaltérable. Or, un certain nombre d’oeuvres interroge la matérialité de cette illusion matérielle. Interroge aussi le caractère idéologique implicite d’une telle conception de la maîtrise du monde, des êtres et des choses selon la possibilité du numérique et de sa pseudo-dématérialisation.
Le code devient alors le lieu de la perturbation de l’écriture du pouvoir, le code devient la matière et la scène même de nouvelles écritures. Démolécularisation — Jean-François et Jérôme Blanquet (4)— donne à voir une altération du langage spectaculaire. Démolécularisation teste et produit cette perturbation des technologies du spectacle. Les deux performers sont sur scène, l’un proche de l’autre, perdus dans des interfaces électro-analogiques de traitements sonores et visuels. En partant de textes pornographiques, qui sont passés à la moulinette de la reconnaissance vocale, peu à peu en introduisant les spécificités des technologies qu’ils utilisent, ils dérèglent l’hyperaffect spectaculaire de la pornographie, créant une forme de destruction radicale de l’attention et de l’attendu captif de la pornographie, dans le brouillage. L’image projetée comme le son, se démolécularise, se dilate, efface ce qu’il porte pour que le médium n’apparaisse plus que comme médium.
Avec Art of failure (Nicolas Montgermont et Nicolas Maigret (5)), ce travail de bug se radicalise. La performance 8 silences, qui semble de prime abord sonore, porte en fait sur l’écriture. S’envoyant un silence, une suite de 1, peu à peu, ce code renvoyé de serveur en serveur, se perturbe, se détruit, au point de devenir une masse sonore hypernoise. Le message informatique n’est pas immatériel, n’est pas virtuel, il a des trajectoires et se détruit, il obéit à des interfaces et est altéré par celles-ci. Ces performances montrent que la prétention à la transparence et à l’immatérialité de l’information est une illusion due à l’aveuglement sur la technologie.
A l’instar de Adorno, face à cette attention sur le médium qui conduit à la mise en oeuvre des bugs, on pourrait penser que "les dissonances qui effraient (les auditeurs) leur parlent de leur propre condition; c’est uniquement pour cela qu’elle leur sont insupportables" Philosophie de la nouvelle musique).

Flesh
Mais ce qui est au coeur même de la critique de la domination technique tient au rapport au corps, à la possibilité de l’aliéner, de l’identifier, de le contrôler. Jaime Del Val (6), performer espagnol, pointe cela. Dans Anticuerpos, il interroge et met en critique la détermination du corps comme identifié à un genre. Homosexuel militant, il se met en scène nu, dans la rue, bardé de caméras, de pico-projecteurs, et il neutralise la définition du corps, par des détails projetés de celui-ci, qui ne permettent plus de l’identifier. À l’instar de la première page de Économie libidinale de Jean-François Lyotard, le corps désirant et désiré quant à son dispositif pulsionnel, n’est plus ni homme ni femme, il n’est plus refermé sur son enveloppe, mais il se déplie dans l’espace, ses limites et frontières quasi insaisissables. Il décaractérise la perception du corps et la repolarise en fragments dans sa déambulation.
Avec Jaime Del Val est mis en critique une des prétentions de la société de contrôle et de surveillance : le contrôle du corps et de là sa possibilité de catégorisation des identités.

Feedback d’hypomnèse
Lucille Calmel (7) pour sa part met à mal une autre illusion de la technologie : celle de la prétention à l’archivage. Alors qu’elle a archivé toutes ses correspondances web de 2000 à 2008, dans Identifiant Lucille Calmel, qui a été réalisé pour le festival Open à Paris Villette en 2011, elle montre dans un jeu entre le corps, l’espace réel, l’espace web et un ensemble de capteurs telle la kinect, de quelle manière cette hyper-mémoire du réseau tout à la fois est parcellaire, déformée, et ne peut être reprise que selon la pratique d’une nouvelle écriture, elle-même produisant un nouvel archivage. Au plus près de la différance au sens de Derrida, elle met en présence à travers des bugs, des saturations d’écriture, l’indissociabilité de l’organique et du numérique et de là dans des jeux de feed-back, de flask-back, de quelle manière se contracte et s’altère matériellement l’archivage numérique. Dans la même lignée, ce que nous faisons avec Hortense Gauthier sous le nom de hp process (8) pose la critique de la relation prétendue par les réseaux de communication et la lisibilité des traces de celles-ci. Contact est ainsi une performance, où un homme et une femme s’écrivent, mais la présentation de cette écriture se fait selon une logique esthétique d’empilement, d’entrelacs sur scène, mais aussi sur le net en direct, de redéploiement spatial de cette correspondance.
Derrière la prétendue maîtrise et transparence de l’écriture, ces deux performances indiquent de quelle manière l’écriture du vivant, l’écriture vivante, s’échappe des déterminations de contrôle, cela en jouant sur les médiums eux-mêmes.

De la transformation de l’idéologie des moyens
Il ne s’agit plus seulement de représenter spectaculairement le pouvoir politique. Celui-ci, ayant abdiqué depuis le XXème siècle face à l’économie, oblige à réfléchir les moyens mêmes de la production. Ce qui domine le capitalisme est la propriété, la relation au monde est celle d’une appropriation, donc d’une soustraction du possible aux autres hommes, selon la revendication du réel. Actuellement, ce qui anime les grandes entreprises informatiques tient aux brevets. Cette idéologie du copyright ne touche pas seulement la dimension économique, mais elle est devenue le socle idéologique de notre rapport à l’être. De sa mise en stock. Tout du point de vue de l’être peut être breveté, déplacé de l’accession publique à la propriété privée. Ce qui est caractéristique des performances ici présentées, c’est leur construction sur d’autres possibilités idéologiques : elles ne sont pas seulement explicitement des critiques de ce qui a lieu, elles ont aussi transformé leur rapport aux moyens de se réaliser. Que cela soit dans la récupération de technologies ou dans le développement de programmes selon des langages open source et un partage libre des connaissances (freeware), les créateurs mentionnés relient ce qu’ils créent à leur propre pratique. Peut-on réellement être crédible, lorsque l’on fait une critique tout en restant dans la pratique que l’on dénonce. Il est alors important de souligner que les créations programmées ici mentionnées (Art of failure, Lucille Calmel, hp process) utilisent un code open source, lui-même résultat d’une critique du capitalisme et de sa logique d’appropriation : pure data créé par Miller Puckette.

Anesthésie des pôles décisionnels et éducation
Si est visible dans bon nombre de performance en quel sens ne peut se faire une critique, sans tout à la fois une compréhension des moyens de la domination et d’autre part le développement de techniques qui rivalisent avec ces moyens tout en proposant d’autres formes de modèles relationnels et économiques; il est à noter qu’institutionnellement il y a une faible intégration de ces nouvelles pratiques. Pure data apparaît comme un parfait exemple. Loin d’être confiné à une petite communauté, ce langage de programmation est engagé par un certain nombre de créateurs au niveau des scènes professionnelles et des work-shops, des installations et pourtant en France dans la plupart des formations les langages qui dominent encore sont l’action script relié au flash, et max-msp. Ces deux langages sont propriétaires et demandent des licences pour être exploités. De même loin d’être open-source, ils ont ouverts à une forme de commercialisation des algorithmes. Ce qui conduit que l’on forme les étudiants, et ceci inconsciemment, à la reproductibilité de cette intentionnalité du copyright, de la propriété privée, contre l’intelligence collective liée à l’opensource. De là, inconsciemment, est empêché corrélativement certains types de questionnement quant aux critiques possibles de l’idéologie des médiums techniques.

(1) http://stelarc.org/?catID=20247
(2) http://aj.chaton.free.fr/evenements99.html
(3) http://www.desbazeille.fr/v2/index.php?/projects/c2m1/
(4) http://projectsinge.free.fr/?paged=2
(5) http://artoffailure.free.fr/index.php?/projects/laps/
(6) http://www.reverso.org/jaimedelval.htm

(7) http://www.myrtilles.org/ (8) http://databaz.org/hp-process/?p=105

De la digitalisation (l’hypothèse intentionnelle)

Internet a été immédiatement investi par les paradigmes de l’espace. Mais dès lors que nous examinons son processus, est-ce qu’il ne s’agirait pas de percevoir en quel sens, la digitalisation des activités humaines n’inaugurerait pas une forme de cartographie de la conscience en général, permettant alors la réduction de l’homme à seulement des processus déterminés ?

Borgès, dans La rigueur de la science, cite un auteur imaginaire du XVIIème siècle, Suarez Miranda, qui parle d’un Empire, où l’art de la carte a été à un tel point développé, qu’au lieu de correspondre à une réduction, la carte de l’Empire fut faite à l’échelle 1. Son texte entre en résonance avec celui de Lewis Caroll, dans Sylvie et Bruno, roman de 1893, dans lequel deux interlocuteurs discutant de l’art de la cartographie en arrive à poser «l’idée la plus grandiose de toute» à savoir la réalisation d’une «carte du pays à l’échelle d’un mile pour un mile».
Dans chacun de leur texte, les auteurs montrent que ce n’est pas immédiatement que l’on en vient à penser une carte à l’échelle 1, mais que c’est progressivement, comme s’il s’agissait téléologiquement du seul horizon de cette intention de report du réel dans l’espace cadastré et normé de la carte. L’échelle 1 serait l’assomption de la cartographie : dupliqué absolument le réel dans l’espace symbolique de la carte, saisir le réel exactement et sans reste. L’épuiser et le dominer.
Ces deux textes proposant un tel défi, montrent cependant l’impossibilité de cette téléologie, en effet, la carte matérielle pour être à l’échelle 1 devrait recouvrir l’espace réel, ceci amenant à cette conclusion dans le récit de Lewis Caroll, que la «carte ne fut jamais déroulée».
Toutefois, avec l’informatique puis internet, et la virtualité de ses dimensions, ce qui paraissait absurde à la fin du XIXème siècle ou au milieu du XXème siècle, semble bien pouvoir devenir une réalité. En effet, du fait que les dimensions ouvertes par l’informatique soient virtuelles, il est tout à fait possible de penser que nous établissions une carte à l’échelle 1 du monde, une carte redécalquant sans réduction toute aspérité, tout site du monde.
Cependant, avant d’acquiescer à une telle hypothèse, il est nécessaire de bien comprendre ce qui se joue avec internet et les réseaux, à savoir quel serait le but d’une cartographie.
Le vocabulaire d’internet est celui du tissage, du site comme espace qui est déplié. Le langage servant à désigner cette réalité et ses pratiques est issu de l’analogie au monde réel et à certains types de déplacement : la toile, le site, la navigation, l’espace, l’ancre, l’adresse, …
Toutefois, ce recours ne peut qu’apparaître maladroit d’un point de vue analytique.
Ce qui domine au niveau du vocabulaire est l’analogie à l’espace. Mais de quel espace parle-t-on? Matériellement le seul espace réel lié aux réseaux est celui des machines (localisation par IP) et des centres de data permettant le stockage. Quant à la réalité des contenus nous ne faisons face qu’à leur virtualité. Ici la différence avec le monde réel est nette. Lorsque nous sommes sur une plage, loin d’être face à une fenêtre, nous sommes immergés dans un monde. Certes, si je suis sur une plage de la côte sauvage, en Charente, les paysages du Japon ou du Kenya sont virtuellement présents au niveau intentionnel, et ne sont pas réels, mais le vécu de sens est celui d’un être au monde, qui par contiguïté, devine la continuité géographique du point où il est, aux multiples points de par le monde. Lorsque nous faisons l’expérience d’internet : nous faisons face à une fenêtre/écran où l’interprétation des codes déplie spatialement sur l’écran une réalité symbolique. Nous ne sommes pas un être-au-monde, mais un être-face-à. Il n’y a pas d’immersion. Cette non-immersion tient précisément du fait que la virtualité des contenus des réseaux n’est pas de l’ordre de l’espace continu, mais de points absolument détachés les uns des autres. Nous ne surfons pas entre les sites, comme le laisse croire l’analogie de la navigation, mais nous sautons d’un point à un autre. Il n’y a pas de passages, il n’y a pas de distance, mais il y a sautillement par à coup. Nous pourrions retrouver ici, mais au niveau de l’espace, la distinction bergsonienne du temps : l’espace physique du point de vue du vécu de sens est continu et hétérogène, alors que la réalité des réseaux est un espace discontinu et homogène (l’écart type étant celui de la vitesse des réseaux).
Ceci vient du fait qu’internet, loin de correspondre à la notion d’espace, en est justement détaché. Si la question d’une cartographie peut se poser, ce n’est pas dans le sens d’une géographie, ou géodynamie, mais bien plus dans l’horizon originel de la topique freudienne. A savoir au sens de la représentation condensée de mécanismes et processus intentionnels humains (1).
Ainsi, il serait tout à fait possible de percevoir autrement la question de la cartographie : non plus celle de saisie des lieux, mais de saisie des pensées humaines, à savoir de ce que pourrait être ses intentionnalités. En effet, internet, en tant qu’espace sans épaisseur, est d’abord le dépliement virtuel de gestes de la pensée, d’horizons intentionnels de l’homme.
Dès lors, si cette hypothèse est avérée, quels sont les enjeux possibles d’une saisie des structures, liaisons et pratiques liées à internet ? En quel sens, mettre en évidence que ce qui est possiblement cartographiable est de l’ordre de l’intentionnalité humaine et de sa variation factuelle, empirique, ouvre un champ de maîtrise du sujet, voire de se réduction phénoménale à des logiques absolument déterministes ?

 

Condensateur intentionnel
Les sites web et leur référencement ne sont pas d’abord et avant tout des espaces, mais bien des constructions intentionnelles. Ici il faudrait référencer et catégoriser chaque site et percevoir en quel sens il correspond à une forme intentionnelle : se renseigner sur l’actualité, faire la cuisine, suivre le sport, se divertir, se cultiver, apprendre, désirer, rencontrer, se masturber, collectionner, travailler, écrire, publier, etc… Anne Cauquelin, même si elle n’en faisait pas l’objet de sa recherche précisément, en avait une parfaite intuition : les noeuds qui constituent la réalité de la carte des réseaux «ne sont pas seulement les rencontres de plusieurs tracés de communications électroniques, ce sont (…) des mouvements de pensée et des conceptions qui s’y réfléchissent»(2).
Certes, les sites référencent et ordonnent des informations, toutefois, il s’agit de dépasser ce simple constat pour bien comprendre qu’ils sont d’abord des sédimentations intentionnelles de notre humanité. Il est nécessaire de distinguer le geste intentionnel et d’autre part le résultat de cette intentionnalité : son contenu. Ainsi, si en effet Jacob Appelbaum a raison de dire dans un entretien au monde (13 décembre 2013) que : «Tout va empirer. En collectant sans cesse des masses de données vous concernant, le système de surveillance fabrique votre doppelgänger numérique, un double qui devient plus vrai que vous» et de là de souligner les erreurs de profile, reste que la finalité, n’est pas tant celle de la maîtrise des activités individuelles que le prototypage du comportement général et de là la maîtrise des actions individuelles.
Les sites mettent en évidence des intentions de l’homme, et ses intentions elles-mêmes sont classées et pourraient être cartographiées, aussi bien géographiquement (par l’analyse des IP des sites) que socialement, économiquement, ethniquement.
Mais, comme cela a été maintes fois énoncés, ce sont les centres d’intérêt qui amènent les associations d’internautes. Si dans son ensemble internet est un agrégat, dès lors que nous considérons les centres d’intérêts, nous avons à faire à des associations d’individus qui partagent un trait intentionnel commun, qui constituent des sphères ou des cercles.
En ce sens les graphes sociaux, qui ont pris leur ampleur avec les plateformes sociales comme Facebook entre autres, montrent parfaitement comment il est possible de créer ce type de correspondance.
Ce qui signifie que ce qui se déplie lorsque nous examinons la diversité des sites, blogs, réseaux sociaux sont des types intentionnels de la conscience humaine. La mention que je faisais en introduction à Freud et son effort répété de construction topique s’éclaire davantage. Ne plus s’attacher d’abord aux contenus, mais saisir la diversité de la pensée humaine qui se donne virtuellement en accès libre au niveau de la synthèse technologique d’internet.
Internet est une forme de schémas confus à première vue de l’ensemble des horizons d’opérations et de polarisations de la conscience. C’est en quelque sorte une carte mentale du fonctionnement de la conscience, de sa manière d’associer des intentions, de se focaliser, de se déplier.
Par exemple : si je cherche le mot astrophysique sur google (525 000 résultats) il est évident qu’au niveau de la polarisation intentionnelle de la conscience je parviens à un résultat absolument inférieur à ce que pourrait être la recherche du mot sexe (43 100 000 résultats). Ce qui se révèle c’est que l’intentionnalité générale de la pensée se focalise plus sur la question sexuelle que sur les questions d’astrophysique.
Ce à quoi me donne accès selon la logique cartographique internet, ce n’est pas à l’espace, mais à un schéma des focalisations intentionnelles de l’homme. Internet est d’abord et avant tout phénoménologiquement un condensateur des intentionnalités de l’homme et de ses procédures d’association. C’est pourquoi autant de recherches se font sur les pratiques humaines, sur la question des modalités relationnelles.
Mais ici, il s’agit pour nous justement de prendre recul face à toute focalisation et de bien comprendre que c’est une topique générale de la conscience que nous tentons de comprendre et d’esquisser. Ainsi, s’il n’y a pas de passages comme je le disais entre les sites, mais des sauts, il y a pourtant des formes de passages qui peuvent être perçus, ceux-ci mettant en lumière les possibles associations, liaisons, correspondances entre intentionnalité 3. En effet, ce qui se lie, est de l’ordre de l’association de pensée. Si je recherche voiture tuning, au niveau des images qui ressortiront sur le moteur de recherche google, je verrai associées certaines images de voiture à des corps féminins très dévêtus, avec des poses aguicheuses. Au contraire, si nous tapons structure atomique, aucune association à l’érotisme féminin apparaitra, seules des photographies de chercheur viendront entrecouper, les représentations d’atomes et de structures atomiques.
Le référencement méthodique donne accès aux schémas d’association intentionnels, à savoir ouvre d’un point de vue architectonique, en quel sens la pensée humaine crée du lien quant à ses polarisations.

cookies world

L’heure est au fantasme de la mémoire universelle et absolue. On nous parle des data-centers, du data-clouding, de la possibilité de tout retrouver à chaque instant de notre vie numérique. Comme si, l’essentiel se jouait là, une omni-science à soi et aux autres quant à l’archivage. La question de la digitalisation, n’est pas d’ordre statique, mais derrière l’apparence, elle est de l’ordre dynamique. Pour le sujet : la digitalisation du vécu comme automatisme serait là comme garantie de sa propre existence. J’existe car je m’enregistre. Or, ce qui est derrière la digitalisation des vécus, ce ne sont pas les contenus, mais les trajectoires, les arborescences de trajectoires de chaque sujet, et ses choix. Le véritable archivage n’est pas le contenu que tel ou tel dépose, mais le fait qu’il ait déposé ceci ou cela (logique des tags) sur tel site. L’archivage est celui de la relation, de la connexion et non pas de la donnée. C’est pourquoi ce qui importe pour toutes les entreprises du web est d’abord la logique des cookies.
Les cookies permettent de définir les relations qu’entretient au niveau des réseaux un usager. Ils permettent ainsi d’établir une forme de portraits de l’intentionnalité de l’internaute : que cela soit au niveau de ses achats, de la fréquentation des sites, des relations à d’autres usagers. Les cookies ainsi permettent de tracer des dynamiques intentionnelles, et delà de proposer des cartographies dynamiques des centre d’intérêt. Dès lors la digitalisation, en effet tente de dupliquer un réel, mais non pas celui du monde, mais celui de la conscience.
Nous passons depuis quelques années du web 2.0, qui a été l’inter-communicabilité intra-réseau, au web 3.0 qui se constitue par l’inter-opérativité de technologies qui ne sont plus liées immédiatement au réseau de prime abord, à savoir qui s’échappent de la logique de l’écran. Cette inter-connectivité est la nouvelle phase de processus typologique des pratiques humaines et de leur quantification.
Ainsi, si on observe les objets connectés, il s’agit de bien saisir et quantifier les pratiques intentionnelles. Si on considère la prochaine mise sur marché, de la société de Rafi Halajan, qui avait créé le nabaztag, il s’agit de commercialiser un objet connecté qui s’appelle Mother. Mother va interconnecter des cookies physiques qui peuvent être posés sur divers objets afin d’examiner des pratiques. Ces cookies vont aussi bien s’adapter au frigidaire, qu’à la porte d’entrée, à un cartable, une brosse à dents comme le montre le teaser servant à lever les fonds d’investissement. Bien plus développé que ce que peut être le Nike+ FuelBand, Mother et ses applications pourront schématiser l’ensemble des intentions d’une famille, et dès lors générer des schémas comportementaux. Ici, ce qui apparaît n’est pas tant la question de la réalité augmentée dans laquelle nous sommes, ni même celle de l’autonomie de la machine, qui reste en dernier ressort de l’ordre du fantasme si on projette une forme intentionnelle, mais bien la logique de cartographie de notre conscience de son mode de fonctionnements. De même la nouvelle fonction iBeacon lancée par apple sur les iphone va dans le même sens. Interagir avec le client dans une boutique à partir de ses centres d’intérêts.
Cet internet des objets ou des procédures est ce qui est au coeur de la surveillance de la NSA, dévoilée par Snowden. Ce qui doit être pensé dans cette affaire, notamment, la récente mise en lumière de la surveillance des téléphones portables, tient non pas seulement le niveau communicationnel, mais aussi au niveau des déplacements de leur propriétaire. Cette logique du traçage des pratiques est au coeur de même de tout usage de cartes ou capteurs liées à la société de consommation. On perçoit que la possibilité offerte tend à l’inversion de la cause et de l’effet. Il ne s’agit pas tant de prendre en compte que de pouvoir anticiper selon des modalités statistiques les possibles processus humains et delà de pouvoir les provoquer.
Google montre la voie avec ses graphes épidémiques de la grippe par exemple. Ceux-ci permettent de percevoir et d’anticiper le développpement de la maladie à partir d’analyse des requêtes avancées de son moteur de recherche. «Certains termes de recherche semblent être de bons indicateurs de la propagation de la grippe. Afin de vous fournir une estimation de la propagation du virus, ce site rassemble donc des données relatives aux recherches lancées sur Google», est-il écrit en bandeau de ce graphe.
Internet et la digitalisation sont donc une logique de globalisation des processus individuels selon la volonté de constituer la réalité non pas communautaire, mais synthétique de l’homme, en tant qu’organisme global constitué de particules.

 

L’épuisement de la singularité
L’ensemble de ces tentatives montre que ce qui est recherché, c’est la réduction de la part singulière de l’homme, sa part imprévisible, son individualité, au profit de la conception techno-synthétique de l’humanité. La digitalisation et la cartographie sont celles de la pensée, mais non plus individuelle, mais collective et dès lors par le renversement cause/effet, c’est la possibilité de mettre à disposition de puissances symboliques ou économiques, le devenir temporel de l’homme.
Si ce type de paradigme ressort parfaitement de film comme Minority report de Spielberg, reste que bien avant, avec les pères de la cybernétique, cela a pu être annoncé. En effet, si on en revient à David Aurel et son livre La cybernétique et l’humain4, était déjà mis en perspective le projet de la cybernétique : réduire l’homme et ses intentionnalités à un ensemble d’équation déterministe, repoussant la question de la liberté à ne plus être rien. David Aurel, dans un de ses schémas, reprenant la question de la liberté telle q’elle a été proposée par Descartes, explique que l’analyse des mécanismes intentionnels de l’homme, permet de voir en quel sens son comportement peut être réduit à des calculs d’intérêt, ou encore des procédures de réactions spécifiquement déterminables, ceci impliquant de réduire la liberté à un presque rien(5). La volonté de digitaliser, cartographier, ordonner, référencer indéfiniment, n’est pas du tout dans la logique de la connaissance mais du contrôle. Le savoir est subordonné au pouvoir : la question de l’action dépasse la question de la théorie selon une dialectique du contrôle.
On ne peut que rappeler ici ce que Heidegger, dans sa critique de l’ère technique, en tant que cybernétique mettait déjà en évidence : l’homme est vidé de son humanité, au sens où la technique le réduit lui-même à n’être seulement qu’un étant parmi les étants(6).
La logique de cartographie liée au réseau repose ainsi sur la certitude, elle-même refoulée, que l’homme se réduit à un étant que l’on peut absolument, et sans reste, réduire à un déterminisme fonctionnel, donc chaque partie par sa variation traduit des formes d’intentionnalité de la globalité organique.
Dès lors, pour conclure, si l’optique de Dominique Cardon(7) est assez juste, à savoir l’abolition des «espaces en clair-obscur afin de les porter à la lumière des moteurs de recherche», on ne peut que se séparer de sa conclusion. La cartographie intentionnelle qui peu à peu se répand et s’accélère avec le web 3.0, est de l’ordre de la saisie de l’intentionnalité humaine en tant qu’entité globale en vue de sa domination par des logiques économiques et donc idéologiques.
Nous retrouvons ici sans doute historiquement ce qu’a été l’avènement de la carte. La cartographie et la géographie, loin de ne reposer que sur l’épreuve de la connaissance, seulement objective, répondait phénoménologiquement à la question de l’utilité. Phénoménologiquement : le face-à-quoi est toujours subordonné au pour-quoi, au en-vue-de-quoi. À l’instar de ce que dénonçait Adorno à propos de la société capitaliste dans Minima Moralia, ce qui est proposé, comme service au niveau des réseaux, est dialectiquement institué en vue de la mainmise et de la domination de l’homme. Les services proposés par le web, ne sont là que pour accélérer et parfaire selon le principe d’exhaustivité, la cartographie de nos choix, de nos perspectives, de nos existences. Ainsi, loin de partager la suspension positive de Dominique Cardon, parlant de liberté de l’individu, il est évident que la digitalisation de nos existences, tend de plus en plus à nous fixer, avec l’assentiment de chaque individu concerné, à des formes de déterminismes, anticipables et dès lors calculables selon des logiques de profits.

 

(1) Ce point précis pourrait permettre de bien comprendre le relatif échec de Second life. Second life s’est proposé de donner une réalité mimétique – au sens spatial et formel – de la nôtre. En effet, le participant se retrouve incarner un personnage dans un monde, répondant des mêmes processus, mais en virtuel, que ceux de notre existence. Second life aurait parfaitement pu devenir le réseau social absolu à partir du milieu des années 2000. Or cela n’a pas été le cas, le désintérêt a été très rapide, notamment en France après les élections de 2007, où il fut très présent du fait de sa nouveauté. La raison de ce désintérêt, vient du fait que ce qui domine au niveau d’internet, n’est aucunement de l’ordre de la recherche d’une mimésis de l’espace, mais de l’incarnation de notre intentionnalité. L’internaute recherche davantage la forme esthétique des procédures intentionnelles, que la recopie du monde. Autrement dit, pour quelle raison des réseaux sociaux comme facebook ont fonctionné et fonctionnent très bien, c’est que la conscience s’y reconnaît, facebook est un condensateur intentionnel, qui a neutralisé toute forme de mimétique esthétique exogène à la conscience.

(2) Anne Cauquelin, Le site et le paysage, ed. puf, 2002.

3 Il faudrait aussi mettre en évidence et analyser toutes les recherches sur le web-sémantiques, et donc la question des tags associés à des contenus. Ces associations sont de l’ordre de schématisation de modalités de pensée. Dès lors la volonté de pouvoir maîtriser un web-sémantique appartient pleinement à la logique de saisie des procédures intentionnelles de l’homme.

4 David Aurel, La cybernétique et l’humain, ed. Gallimard, 1965.

5 Il faudrait établir la discussion entre Jankélevitch et cette thèse de David Aurel à la lumière de l’évolution d’internet et des opérations que j’ai décrites. En effet, Jankelevitch tend à poser dans le Je ne sais quoi et le presque rien, que la liberté, prise dans le déterminisme, n’a de sens que dans la transcendantalité du futur. Or, selon cette logique de réduction cybernétique des intentionnalités humaines et la maîtrise statistique de plus en pus forte des relations que la conscience établie, on pourrait penser que peu à peu, l’intentionnalité humaine quant aux possibles, puisse se réduire à un phénomène équalisable d’un point de vue déterministe. Ceci ressort de ce qu’écrit david Aurel : «: « La technique rationnelle a attaqué le droit comme elle a attaqué la Médecine. Cela tient à l’augmentation du nombre des hommes, au fort taux de couplage de leurs relations actuelles (…). Le point le plus connu est celui de la cybernétisation de la gestion administrative. L’Automation, dont la réglementation préoccupe par ailleurs fortement le Droit, le pénètre lui-même dans son organisation technique » (p.140)»

(6) Heidegger, Le dépassement de la métaphysique : « L’usure de toutes les matière , y compris la matière première « homme », au bénéfice de la production technique de la possibilité absolue de tout fabriquer, est secrètement déterminée par le vide total où l’étant, où les étoffes du réel, sont suspendues. Ce vide doit être entièrement rempli. Mais comme le vide de l’être, surtout quand il ne peut être senti comme tel, ne peut jamais être comblé par la plénitude de l’étant, il ne reste pour y échapper qu’à organiser sans cesse l’étant pour rendre possible, d’une façon permanente, la mise en ordre entendue comme la forme sous laquelle l’action sans but est mise en sécurité. Vue sous cet angle, la technique, qui sans le savoir est en rapport avec le vide de l’être, est ainsi l’organisation de la pénurie».

(7) Dominique Cardon, La démocratie Internet, ed. Seuil, 2010.

Identifiant Lucille Calmel

identifiant lucille calmel from philippe boisnard on Vimeo.

 Identifiant Lucille Calmel, est une création de Lucille Calmel dans le cadre de open paris-villette, festival des scènes virtuelles / cyril thomas-sélection textuelle enregistrée, philippe boisnard-programmation+interactivité, thierry coduys-conseil / bourse brouillon d’un rêve numérique de la scam / bourse smartbe / juin 2011 /

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