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De l’infantilisation des individus

Ça y est, le volet juridique sur les stupéfiants est annoncé suite à la remise du rapport du MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la dépendance et la toxicomanie). Enfin, une réforme des lois de 1970, réforme qui amènerait, qu’au lieu des 1 an de prison et des 3750 Euros d’amende pouvant être prescrits, le prévenu n’aurait plus que dans l’hypothèse de Sarkozy 1500 Euros d’amende, ou dans l’hypothèse souhaitée par le MILDT ou le ministère de la santé une amende de 135 Euros. La première solution imposant un passage au tribunal de Police et une mention dans le casier judiciaire (amende de catégorie 5), la seconde, n’étant qu’une amende de catégorie 3 ou 4 sans inscription au casier.
Ça y est, enfin on sortirait du volet très répressif des lois 70, pour des peines davantage propres à l’usager, ne le mettant point en marge de la société.
Et pourtant, comme de nombreux analystes, peuvent le suggérer, loin d’être une avancée vers une plus grande tolérance, une telle réforme renforcera l’interdiction. Pour quelle raison ? Parce que tout simplement, ces lois de 1970, à de rares exceptions, n’étaient plus appliquées, n’étaient plus adaptées pour le cannabis, ayant vu au tournant des années 80-90, une forte proportion d’adolescents et d’adultes de moins de 35 ans, être des consommateurs. Parce que tout simplement, sous la gauche — ici il faut bien l’avouer — il y a eu une plus grande tolérance vis-à-vis de l’usage des drogues douces, amenant, que la consommation ait pu se banaliser fortement dans tous les milieux de la société française, des cités aux appartements cossus et bourgeois des centre villes, sans pour autant créer une catastrophe sociale, sans pour autant amener la grande partie des consommateurs à se marginaliser.
D’un coup par cette loi, et sa possibilité d’être mise en pratique immédiatement sur le terrain, avec un simple PV, une simple amende, revient la possibilité de sanctionner cet usage, revient la possibilité d’actualiser l’interdit, qui n’était plus, du fait de la loi de 70, qu’une sorte de puissance abstraite, sans véritable actualité pour la grande partie des consommateurs.
Oui, en effet, cette réforme, voulue par Sarkozy, pour qui assurément comme il l’a dit il n’y a pas de drogues douces, mais pour qui toute drogue est dure, n’est pas un pas vers la tolérance, mais un pas de plus vers la surveillance et la mainmise du pouvoir biopolitique sur le corps. Un pas de plus, pour déposséder l’individu de son existence, en faveur de la morale du corps qui est mise en avant par l’idéologie politique qui est sous-jacente à la droite.
En effet, chose étrange, cette droite, si prompte à vouloir tout libéraliser économiquement, à tout vouloir privatiser et libérer des contraintes de l’Etat et de sa mainmise, n’a pourtant de cesse de vouloir arraisonner le corps individuel et sa liberté de jugement en ce qui le concerne, n’a de cesse de vouloir phagocyter la vie individuelle en criant haut et fort que ses décisions sont non seulement morales mais en plus établies sur des principes vrais en ce qui concerne l’individu. Car, n’en doutons point, eux, les gouvernants, du haut de leur chaire, savent ce qu’est l’essence humaine, mieux que quiconque !
Il n’est que de dire cela, pour se rendre compte, que ce gouvernement, est bien l’un des plus répressifs au niveau de la liberté individuelle, mais aussi les plus régressifs quant à sa conception de l’essence humaine. Ainsi, faisant fi du fait qu’historiquement, la morale a été balayée magistralement par la philosophie, au point que Sartre puisse dire que non seulement nous sommes condamnés à notre propre liberté, mais qu’en plus que « notre existence précède notre essence », ce gouvernement en vient — par la voix de son héraut — à défendre une vérité morale de l’homme que seul l’Etat pourrait non seulement garantir, mais en plus définir en toute vérité.
Or, est-ce vraiment le cas, est-ce que cette « élite » engoncée dans ces certitudes, et pouvant même se lier à des médias privés faisant commerce de la TTV (Trash-TV) peut prétendre avoir sans en douter le discours vrai ? Est-ce que ses critères — qui fondent le bien et le mal de la santé individuelle sur la seule longévité de la vie — sont assurément établis en vérité ?
Artaud en son temps répondit déjà à un tel type de censure, à un tel type d’interdits fondés sur la morale et ceci dans sa « Lettre à Monsieur le Législateur de la loi sur les stupéfiants » de la loi de 1917 et 1917, portant en partie sur les opiacés. En partant du fait que « tout homme est juge, et juge exclusif, de la quantité de douleur physique, ou encore de vacuité mentale qu’il peut honnêtement supporter », il expliquait que seule un individu peut juger des moyens propres à lui-même pour supporter l’existence, et selon lui, cette « angoisse qui fait les suicidés », « qui pince le cordon ombilical de la vie ». C’est en ce sens, que fustigeant « la tradition d’imbécillité » suivie par ce législateur, il pouvait dire en dernier ressort que « toute la science hasardeuse des hommes n’est pas supérieure à la connaissance immédiate avoir de être ».
Ainsi, la question de la législation, n’est pas seulement à inscrire dans une politique de santé publique, mais à remettre en rapport avec la définition politique de l’individu et de sa mise à disposition de la part du politique. Nous le comprenons, alors qu’en cette époque, le politique semble démissionner pour une grande part au niveau de l‘éducation et de l’intellect des individus, ne venant d’aucune manière s’interroger sur le contenu de l’éducation médiatique diffusée avec son aval, il n’a de cesse par contre de venir le contrôler, le surveiller en tant qu’existence, l’amenant à ne plus pouvoir se sentir responsable de lui-même, mais seulement en état de minorité, d’assister, et ainsi infantilisé n’ayant d’autre recours quant à sa vie et ses accidents que d’invoquer l’Etat comme s’il s’agissait de son nouveau Père de substitution.