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September 23, 2003 · category article, [publication], [spam poetry], [une]
Avec le projet Sarkozy sur les stupéfiants, l’État réactualise l’interdit qui, depuis les lois répressives de 1970, était quasiment tombé.
De l’infantilisation des individus
Par Philippe BOISNARD mardi 23 septembre 2003 — Libération.
Sous la gauche, il y a eu une plus grande tolérance vis-à-vis de l’usage des drogues douces, laquelle a entraîné une forte banalisation de la consommation dans tous les milieux. Ça y est, le volet juridique sur les stupéfiants est annoncé à la suite de la remise du rapport de la Mildt (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie). Enfin, une réforme des lois de 1970, réforme qui amènerait que, au lieu de l’année de prison et des 3 750 euros d’amende pouvant être prescrits, le prévenu n’aurait plus que, dans l’hypothèse de Sarkozy, 1 500 euros d’amende ou, dans celle souhaitée par la Mildt ou le ministère de la Santé, qu’une amende de 135 euros. La première solution imposant un passage au tribunal de police et une mention dans le casier judiciaire (amende de catégorie 5), la seconde, n’étant qu’une amende de catégorie 3 ou 4, sans inscription au casier. Ça y est, enfin on sortirait du volet très répressif des lois de 1970, pour des peines davantage propres à l’usager, ne le mettant point en marge de la société. Et pourtant, comme de nombreux analystes peuvent le suggérer, loin d’être une avancée vers une plus grande tolérance, une telle réforme renforcera l’interdiction. Pour quelle raison ? Parce que, tout simplement, ces lois de 1970, à de rares exceptions près, n’étaient plus appliquées, n’étaient plus adaptées pour le cannabis, ayant vu au tournant des années 80-90 une forte proportion d’adolescents et d’adultes de moins de 35 ans être des consommateurs. Parce que, tout simplement, sous la gauche &endash; ici il faut bien l’avouer; il y a eu une plus grande tolérance vis-à-vis de l’usage des drogues douces, laquelle a entraîné une forte banalisation de la consommation dans tous les milieux de la société française, des cités aux appartements cossus et bourgeois des centres-ville, sans pour autant créer une catastrophe sociale, ni amener la grande partie des consommateurs à se marginaliser. D’un coup, par cette loi, et sa possibilité d’être mise en pratique immédiatement sur le terrain, avec un simple PV, une simple amende, revient la possibilité de sanctionner cet usage, revient la possibilité d’actualiser l’interdit, qui n’était plus, du fait de la loi de 1970, qu’une sorte de puissance abstraite, sans véritable actualité pour la plus grande partie des consommateurs. En effet, cette réforme, voulue par Sarkozy pour qui il n’y a pas de drogues douces car toutes sont dures, n’est pas un pas vers la tolérance, mais un pas de plus vers la surveillance et la mainmise du pouvoir biopolitique sur le corps. Un pas de plus pour déposséder l’individu de son existence, en faveur de la morale du corps qui est mise en avant par l’idéologie politique de la droite. Chose étrange, cette droite, si prompte à vouloir tout libéraliser économiquement, à tout vouloir privatiser et libérer des contraintes de l’Etat et de sa mainmise, n’a pourtant de cesse de vouloir arraisonner le corps individuel et sa liberté de jugement en ce qui le concerne, n’a de cesse de vouloir phagocyter la vie individuelle en criant haut et fort que ses décisions sont non seulement morales mais en plus établies sur des principes vrais en ce qui concerne l’individu. Car, n’en doutons point, eux, les gouvernants, du haut de leur chaire, savent mieux que quiconque ce qu’est l’essence humaine ! Il n’est que de dire cela pour se rendre compte que ce gouvernement est bien l’un des plus répressifs au niveau de la liberté individuelle, mais aussi des plus régressifs quant à sa conception de l’essence humaine. Ainsi, faisant fi du fait qu’historiquement la morale a été balayée magistralement par la philosophie, au point que Sartre puisse dire que non seulement nous sommes condamnés à notre propre liberté mais que, en plus, «notre existence précède notre essence», ce gouvernement en vient — par la voix de son héraut — à défendre une vérité morale de l’homme que seul l’Etat pourrait non seulement garantir mais en plus définir en toute vérité. Or est-ce vraiment le cas, est-ce que cette «élite» engoncée dans ces certitudes et pouvant même se lier à des médias privés faisant commerce de la TTV (trash-TV) peut prétendre avoir sans en douter le discours vrai ? Est-ce que ses critères &endash; qui fondent le bien et le mal de la santé individuelle sur la seule longévité de la vie &endash; sont assurément établis en vérité ? Artaud en son temps répondit déjà à un tel type de censure, à un tel type d’interdits fondés sur la morale et ceci dans sa Lettre à Monsieur le Législateur de la loi sur les stupéfiants (adoptée en 1917 et portant en partie sur les opiacés). En partant du fait que«tout homme est juge, et juge exclusif, de la quantité de douleur physique, ou encore de vacuité mentale qu’il peut honnêtement supporter», il expliquait que seul un individu peut juger des moyens propres à lui-même pour supporter l’existence et, selon lui, cette «angoisse qui fait les suicidés», «qui pince le cordon ombilical de la vie». C’est en ce sens que, fustigeant «la tradition d’imbécillité» suivie par ce législateur, il pouvait dire en dernier ressort que «toute la science hasardeuse des hommes n’est pas supérieure à la connaissance immédiate qu’il peut avoir de son être». Ainsi, la question de la législation n’est pas seulement à inscrire dans une politique de santé publique, mais aussi à remettre en rapport avec la définition politique de l’individu et avec la façon dont le politique en dispose. De nos jours, le politique ne s’interroge d’aucune manière sur le contenu de l’éducation médiatique diffusée avec son aval, et semble démissionner. En revanche, il n’a de cesse de contrôler l’individu, de surveiller son existence, l’amenant à ne plus pouvoir se sentir responsable de lui-même, mais seulement en état de minorité, d’assisté, et, ainsi infantilisé, n’ayant d’autre recours, pour les accidents de sa vie, que d’invoquer l’Etat comme s’il s’agissait de son père de substitution. ©Libération
September 13, 2003 · category article, [une]
[article paru sur le site Hermaphrodite]
Christian Prigent, dans Ceux qui merdRent disséquant la question de la « crise de la poésie », exprime le fait que loin de penser à une crise selon le sens consensuel des crises qui touchent et mettent en péril des institutions, la crise est l’état positif de la langue poétique, c’est-à-dire qu’elle n’est qu’autant qu’elle crisse, se creuse, croît et se brise dans l’abîme d’une langue qui s’ébruite en creux au-delà du trou de la bouche. « L’enjeu est toujours de faire résonner dans la langue quelque chose de vivant, quelque chose où l’époque et les sujets qui la vivent s’expriment hors des codes appris et fondent avec cela, à chaque coup renouvelé, la poésie », « c’est comme s’il fallait à chaque fois déblayer le terrain et mettre la poésie en crise, pour que ressurgisse, nue et crue dans le trou ouvert, la question de la poésie ». Crise de la poésie alors qui serait consubstantielle de sa survenue, phénoménalement inscrite dans ses mots, chaque mot devenant l’abcès crevé de sa langue, la crevasse créée de la langue tenue, moulée selon le plan communicationnel moyen de la mondanéité. Mettant ainsi en évidence l’expérience linguale de la poésie, Prigent, bien évidemment, s’il insiste pour une part sur le travail opéré par les avant-gardes qui ont fait TXT, notamment – entre autres – comme il le rappelait dans Le Mensuel de Bruxelles en avril 2003, Yves Froment qui nous a quitté dernièrement, cependant indiquait déjà une généalogie de langues se filant de Rabelais à Rimbaud, de Artaud à Pennequin. Car de fait, et jamais de droit, la poésie ne pouvant se figer dans une loi et un cadre, ce qu’il énonce touche ou encore provient de chaque expérience singulière faite de la langue, de chaque expérience qui ne s’arrête pas seulement au sens, mais prend avec soi la totalité matérielle de la phonè. C’est dans cette ligne généalogique que s’inscrit Lissez les couleurs ! à ras l’fanion de Joël Hubaut, paru aux éditions Al dante.
De Joël Hubaut, on sait depuis maintenant belle lurette – 10 ans ? 20 ans ? 30 ? – qu’il est grossiste en art, grossiste boucher, celui qui coupe dans la réalité, dans les collections-étiquetées du monde ossifié, pour construire ses architextures épidémiK, cancérales. Le travail de Hubaut, comme le soulignait encore Michel Giroud (Joël Hubaut, l’excentrique, 2001), « organise la désorganisation du pseudo-ordre ossifié-gelé pour inventer un organique de la surprise, de l’imprévisible dynamique de la coïncidence non-calculable. (…) Espaces où s’affrontent les diverses cultures, Hubaut construit un espace à plusieurs dimensions non réductibles à des éléments simples ; ça devient toujours de plus en plus obscur, de plus en plus imbriqué, de plus en plus tissé, de plus en plus dense, de plus en plus vivant, de plus en plus fictif, de plus en plus foisonnant ». De Hubaut, on connaît les rassemblements hétéroclites d’objets du quotidien taxinomiés à foison par rite ou rythme de couleurs (le rose, le jaune, etc…), on connaît les amoncellements décharges qui sculptent un réel précédemment aboli par la réalité sociale du consumérisme. Mais on connaît moins sa langue tortueuse, torturée, sa langue qui elle-même du trou comblé par la novlangue sociale surgit et s’invente labyrinthe vivant d’une épidémiK démangeaison du souffle, du corps. Tel que le demande alors Giroud : « et si le père Hubaut », bubutant de sa boucle le blablattement de la langue, « était un nouveau romancier d’une espèce encore inconnue nous déroulant les rhapsodies idiotes de son récit sans queue ni tête, notre épopée terrestre si terriblement stupide » ? Oui, et si ? Si, en effet, oui, tel semblerait être le cas, avec ce Lissez les couleurs, sorte de longue mono-rhapsodie en faveur d’une langue qui à l’instar de ce que disait Prigent brise le carcan réducteur des syntaxes conventionnelles. Dans ce texte, Hubaut, s’il manifeste une autre origine linguale de l’articulation, cependant reprend à son compte cette crise, ce creux qui démolit la langue figée de la grammaire de Dieu ou des Nations. Et c’est bien cela, tout d’abord qu’il faut remarquer. Texte qui n’est pas la trace d’une présence idiolectale d’une extériorité, mais qui prend à sa charge la critique de la fossilisation/réduction de la phénoménalité de la langue par la société et ses repères castrateurs. Le fanion, ce fanion, qui apparaît au titre du livre, est celui aussi bien de la nationalité linguistique que celui de la religion, que celui du territoire drapé sous le drapeau bandé. Ce drapeau se découvre ainsi linceul de toute enfance idiolectale : il vient recouvrir la prolifération épidémique de l’expression organique du dire, il vient l’étouffer comme la saucisse vient dans la gorge s’enfoncer et réduire le cri ou le rire à n’être plus que gargouillis dépouillé de sa sonation. « La langue de l’origine de la morale contagieuse est comme une saucisse molle dans le trou de la masse infectée par Dieu avec le drapeau pour la pureté de la pensée unique et la langue est comme une saucisse molle qui colle le drapeau dans les poils de la pensée unique » (p.24). La langue cadenassée, la langue moulée des territoires gelés, gainés, est mise en évidence par Hubaut selon un principe viral, une propagation elle-même épidémique qui est venue s’inculquer et s’incuber dans les bouches ouvertes de ceux qui veulent parler. Ici, il faut souligner l’ontologie de la novlangue, de la langue communicationnelle. Elle met en évidence que la morale de la langue n’est pas naturelle, mais est maladive, est virale, sorte de dégénérescence cellulaire du dire qui s’invagine des syntaxes purifiées et putréfiées des interdits aussi bien politiques que religieux (pouvons-nous éviter de penser à Nietzsche ?). Ainsi l’homme ne serait pas par essence ce « zoon logon echon » dont nous parlait originellement Aristote, pouvant ainsi le réduire à être un vivant politique (bios politikos), mais en écho à Nietzsche et à sa Généalogie de la morale, il indique que la langue sociale, la langue contrôlée politiquement est établie par une maladie du corps, une déficience de sa possibilité à être puissante, provenant de son impossibilité à incarner sa volonté. Geste de guerre, contre le clonage des mots dans la bouche, le texte selon cette première lecture est un pointage, une mise en lumière de la réduction des articulations. « Chaque langue est la copie de la langue du moule de la masse de la série du trou moulé dans la bouche et chaque homme appartient au moule commun du moulage de l’homme et nous sommes tous des hommes bouchés dans la masse du moule d’uniformisation et nous sommes tous des hommes mous dans ce moulage » (p.17). Le trou de la bouche selon ce moulage est ainsi réduit à être bouché, empêtré, dans « la loi du moule », qu’elle soit politique ou religieuse. Car c’est bien là l’angle d’attaque et d’approche que suit depuis des années Hubaut, cette question du cloisonnement de l’homme dans l’idéologie, cloisonnement dont il témoigne par les couleurs tel qu’il l’explique à Thierry Heynen en 2001 pour la Galerie Marcel Duchamp – Yvetôt. « Les couleurs me semblent déterminantes dans les relations de territoires, qu’on soit conquérant ou seulement possesseur. Toute forme de propriété implique une protection qui peut virer à l’étanchéité et au blindage totalement belliqueux ! (…) Je pense à toutes les formes réactionnaires d’ultra-ethnisme, d’ultra-nationalisme, d’esprit sectaire et buté avec ce choix catégorique d’une couleur qu’on brandit comme un drapeau ». Du trou de la bouche, bouchée, langue moulée à la louche de ce qui la bouche, ne reste plus que les mots uniformisés, inculqués, et capitalisés sous l’égide des grands principes signifiants. Car parler la mass-langue bouchée ce n’est que puiser dans le fatras mono-tone de la banque centrale de la langue anémiée, du nomos des mot mis aux pas. Face à cela, pour Hubaut : la possibilité de la ligne rhizomique, se référant indirectement à Deleuze et Guattari (n’oublions pas qu’il a travaillé avec Guattari). Face à cela une ligne de fuite de l’idiolecte, d’un idiome non-contaminé par les couleurs des drapeaux, non capitalisés par l’industrie anale, ahanante du ventre des syntaxes officielles qui créent les étrons étouffants des langues-morts. C’est ainsi que Lissez les couleurs peu à peu glisse dans l’hubris d’une langue qui devient prolifique, épidémiK par sa décomposition en boucle de la logique des séquences phonétiques. La ligne de fuite n’est pas par une abstraction ou un retranchement des mots, mais par leur foisonnement, leur multiplication par un étouffement de contre-investissement. La langue prolifique se compose/décompose à l’image de la fractale, séquence qui se démultiplie, et entre alors en résonance avec les travaux CLOMIX (CLOM signifiant : Contre L’Ordre Moral) , fractale épidémiK, à partir de même unité phonique, démultiplier les profondeurs, les espaces soniques, les aléas perturbés des syntagmes. Langue qui se fait miroir des travaux des monochromes, où le but n’est pas de seulement montrer le système concentrationnaire, même si c’est l’un de ses enjeux, mais de montrer que la multiplication conduit à la perturbation, aux dysfonctionnements, aux aléatoires d’une densité matérielle qui brise justement le système concentrationnaire. « La couleur, c’est juste un outil, une machinerie pour déclencher une dérive d’expériences parce que j’aime la vie. Je parle de la couleur discriminante bien sûr, mais ça doit dépasser largement cette problématique. Tout est fuyant, la cohérence interne n’est qu’apparence, évidemment, je travaille cette histoire de territoire de la pensée unique mais en même temps je me débine ailleurs et je ne sais trop où ! ! ! » (entretien avec Thierry Heynen). Glissement, enlisement, empâtement des mots dans la bouche qui, peu à peu, lentement perdent leur moule, perdent les syntaxes conciliantes, se délient de la grammaire et de la phonation intelligible, pour se réaliser dans une autre langue, non moulée, mais démoulée, non collée au drapeau et à leurs couleurs. Ceci apparaît aux alentours des pages 60-61. Langue qui s’exvagine du creuset où elle est digérée et empêtrée, ou encore s’expérimente en marge de l’intelligibilité : « on beurre le tule de l’yau à frond dans sa bouche et toute la rale gouline les mouches et toute la rale gougou du rfana et toute la rale tiquele l’dra dans la drouette » (p.63) « é gloupe lé glo du releu o brou la vliche o kolo o brou la briche é jecgue la rouche routs dénédu » (p.77). Langue de la déchéance dirait le parlant-régulier, arrêté à la communication maîtrisée, langue d’aliéné voire de dégénéré. Mais non, et c’est là de ce trou, trou de la bouche qui se risque à cracher les étrons qui lui ont été enfoncés, que sort une autre phonè, celle-là idiolectale, qui alors articule autrement les mots. Dans l’horizon d’Artaud, Hubaut pose la possibilité de se reconstruire un corps neuf, un corps nouveau qui de sa bouche parle une langue qui n’est pas étouffée. Cette langue-corps est neuve non pas en tant qu’elle invente, non pas parce que ses mots lui seraient propres, mais parce qu’elle se construit autrement à partir des mots qui lui ont été enfoncés. L’idiolectal n’est pas une langue de l’origine, c’est la régénération des articulations du langage-étron fiché dans la gorge : « Tu peux arriver à modifier chaque mot-saucisse avec la colle de la charcuterie et plus tu colles ta langue et plus tu te décolles de ta bouche collée à la bouche bourrée de saucisses » (p.88). L’ idiolectal ainsi n’est pas pureté, car la pureté tient toujours à la morale, à l’épuration voulue au nom de Dieu et de la nation. La pureté, c’est ce qui refuse l’obscurité, les zones d’ombre du trou de la bouche et qui veut emplir ce trou des mots-saucisses de la mass-langue. Non, tout au contraire, l’idiolectal est l’impur, « nouvelle langue impure, (…) une vraie langue impure qui jaillit hors du moule de la purification de la merde » (p.89). Déboucher le trou, c’est alors accueillir une digestion épidémiK qui ne vient plus d’un totalitarisme linguistique, mais des accidentalités possibles de cette démultiplication de la langue dans un corps singulier. Car « ta langue est une nouvelle parole d’amour pour l’impureté de la vie dans l’énergie du monde et ta parole est une énergie pour l’amour du monde ».
September 2, 2003 · category article, [une]
[article paru sur le site Hermaphrodite]
À la fois fin et commencement, la real-TV, en boucle sur tous les écrans du monde depuis 10 ans, ne cesse de se dupliquer, de se métastaser sur nos écrans, au point qu’en France l’événement de la rentrée télévisuelle soit la Star’Ac ou bien 36 Heures, au point que le cinéma puisse se nourrir – comme dans le très bon Battle Royal réalisé par Kinji Fukasaku – de cette obsession pour la télé transparence.
La real-TV, comme cela a été maintenant maintes fois analysé, se développe selon la logique du panopticum, de la visibilité porno-logique. Porno-logique, car comme l’étymologie le dit, il s’agit de vendre son corps, sa présence nue (Loft-story, Nice people) ou bien une de ses fonctions (Pop star, Koh lanta, Star-academy), voire même son fond pathogène (Fear factor). Vendre une présence sans la production de représentation, vendre sa pure et simple présentification, sans le masque, sans le double qui caractérise normalement la logique spectaculaire. La real TV, c’est évident n’est pas spectaculaire, ou bien elle est le spectacle qui a abandonné le spectacle, au détriment d’un speculum de l’immédiateté et de la spontanéité. C’est pourquoi, le philosophe Jean-Jacques Delfour pouvait y voir un paradigme du camp et du système totalitaire (Le Monde du 18 mai 2001), ou bien le sénateur Claude Huriet des souris (Le Monde du 12 mai 2001). Spectacle qui anéantit le spectacle, ou encore spectacle qui ne revendique aucun recul du jeu, à savoir qui met seulement en jeu l’individu tel qu’il est, et non pas tel qu’il pourrait être. Spectacle qui détruit toute surprise dans le spectacle. La real-TV brise en effet le paradigme de la reconnaissance, de la catégorie des personnes médiatiques. Elle ne vient pas proposer une figure à atteindre, mais elle pose comme assomption de la visibilité : la normalité éprouvée ; en quel sens par exemple comme ce fut dit dans le dernier épisode de la 3ème saison de Koh Lanta, ce sont deux femmes normales qui ont gagné, deux femmes normales, à savoir comme les autres, aussi bien dans leurs moyens physiques et psychologiques, que dans leurs aspirations à participer à ce jeu de real-TV. Le modèle ne devient plus celui alors de la star mais de l’anonyme représenté, au sens où la réalité de soi ne peut s’incarner que par le vecteur médiatique de cette diffusion. Modèle qui fonctionne, car cette présence-là devient la surface de projection et de sublimation du spectateur, surface où se focalisent ses propres désirs de réussite, ses aspirations à lui aussi apparaître en tant que présence subjective reconnue pour elle-même. Alors que la star apparaît comme l’irrémédiable abîme de sa propre présence, l’idéalité impossible, l’identité interdite posée comme icône de sa propre déficience à apparaître. Là se détermine l’une des fonctions de substitution de la real TV : substituer à la star, l’anonyme, et donc permettre une meilleure captation de l’attention de la norme, qui peut à chaque instant se projeter sur cette présence, s’y identifier, l’interpréter comme un possible de sa propre existence. « Du point de vue psychique » explique Castoriadis dans Le monde morcelé, « la fabrication sociale de l’individu est un processus historique moyennant lequel la psyché est contrainte d’abandonner ses objets et son monde initiaux et d’investir des objets, un monde, des règles qui sont socialement institués. C’est là le véritable sens du processus de sublimation ». L’un des courts-circuits majeurs de cette logique devient l’évacuation de ce qui fait la spécificité des stars : le talent, la création ou encore la singularité au sens où seule la normalité immédiate et son ressenti devient modèle et matière à interpréter et jouer pour le spectateur. Il n’y a qu’à voir ce qui est véhiculé dans chacune de ses émissions : la sexualité, les tergiversations psychologiques, une intersubjectivité mondaine sans autre caractère que de montrer spécifiquement le lot commun de tous. Ainsi la real-TV n’est pas d’abord et avant tout un lieu concentrationnaire, ou bien l’établissement de souris, mais sa logique est d’absorber la subjectivité, en tant que les médias télévisuels promettent depuis plus de 10 ans que d’existence vécue, il n’y a que dans sa présentation médiatique (Warhol l’expliquait déjà en son temps). Si tel que le disent Florence Aubenas et Miguel Benasayag « Nous participons tous aujourd’hui au monde la communication » c’est parce qu’en effet « passer à la télé est devenu une étape acceptée pour qui veut aujourd’hui exister » (La fabrication de l’information). C’est pourquoi ces émissions ne peuvent promouvoir le collectif ou encore le communautaire, mais sont obligées de développer une logique de l’antagonisme entre les individus présentés. Pour montrer la subjectivité, il est nécessaire de morceler leur relation, de les amener à briser leur union, à les confronter les uns aux autres. La real-TV ainsi ne rapproche pas, mais détache, disjoint, écarte les individus entre eux, fondant le secret de sa réussite sur la décomposition, la fragmentation du tissu social et affectif possible. Il est caractéristique de voir à quel point dans chacune de ses émissions, le réel point en commun, c’est la volonté d’élimination, de mettre en porte-à-faux tout autre candidat, afin que les spectateurs lorsqu’ils peuvent voter, les juge en deçà de ce qui les caractérise. Le jeu de la normalité s’établit consécutivement sur un jeu de mise en échec de la présence de l’autre, de sa normalisation, de la dénonciation de sa propre présence nue. C’est là spécifiquement que naît une logique de vampirisation de l’individu par les real-TV : en effet, elles se nourrissent de la dépossession de la présence des êtres qu’elle met en image et en scène en tant que simple présence. Alors qu’un acteur ou bien un chanteur ne dévoilaient que peu leur présence réelle, pouvant même se plaindre du harcèlement de certains paparazzi, ce qui caractérise la spectacularisation des protagonistes de la télé-réalité c’est tout à l’inverse qu’ils laissent absorber par l’œil du cyclone leur présence nue, ne pouvant refuser qu’on filme et interview leur famille (obligation de contrat pour leur présentation = la preuve de leur normalité). Ce qui en contrecoup conduit de plus en plus les acteurs ou chanteurs professionnels à entrer dans ce vertige porno-télévisuel de leur propre existence. La vampirisation c’est le mécanisme d’absorption de forces vitales de la victime afin de conserver sa propre vie. Le vampire ne pouvant survivre qu’en altérant, en corrompant ce qu’il n’est pas ou n’est plus précisément, et qui lui fait défaut. En effet, et ici se pose la pertinence de l’essai d’Aubenas et Benasayag précédemment cité : cette mise en visibilité de la subjectivité normale – qui est l’un des credo de TF1 par exemple – se fonde non pas sur une mode, mais sur la nécessité de gagner de l’audimat, c’est-à-dire ces émissions se nourrissent de la subjectivité afin de survivre, les téléspectateurs recherchant à se reconnaître. Dès lors, en retour nous pouvons concevoir que le téléspectateur se pose comme un anthropophage, un cannibale aimant à manger, à bouffer ses contemporains, à les digérer et les disséquer. Regarder ses contemporains s’entre-déchirer, consommer ce type d’émission, revient à les cannibaliser, à s’en repaître. Se dévoile la tendance massive de notre société qui n’est certainement pas celle de la communauté, ou encore de l’individualisme qui prônerait une indifférence face à autrui comme on peut le dire, mais de l’anthropophage. Société extrême de la mise en différence selon des critères communs. Société de l’individualisme normé. La real-TV devenant le paradigme de ce devenir. L’entreprise pouvant en être le lieu le plus probant en tant que site de mise en expérimentation de cette intentionnalité. Le cannibalisme ne se réduit pas à manger l’autre, mais c’est le manger afin d’absorber sa propre énergie, sa puissance (syndrome Highlander). Il permet de devenir supérieur. Or, qu’est-ce qui définit l’intentionnalité du téléspectateur si ce n’est cette virtualité constante grâce à la sublimation de se dire qu’à la place de cette présence, il ferait mieux. Mécanisme des plus attractifs pour la télévision, en montrant la norme nue, le spectateur est invité à se confondre par projection avec celle-ci et par sa consommation à se définir comme une subjectivité plus performante. C’est là l’un des leviers les plus puissants du mécanisme de l’audimat, qui fit le succès de jeu comme une famille en or, ou encore actuellement comme le maillon faible ou bien Qui veut gagner des millions. Nulle difficulté dans les épreuves, mais la possibilité pour chacun de se croire plus performant face à des questions moyennes, de culture mondaine. Attraction cannibale, voir c’est dévorer, c’est absorber la puissance de l’autre afin de se construire selon l’adéquation à la norme, selon un devoir-être mondain. Être cannibale c’est donc se tenir dans la volonté d’une jouissance par la médiation dialectique d’une altérité dépossédée de sa propre singularité, mais posée comme un ensemble de catégorie normée qui est à ingurgiter. Nulle masturbation dans ce processus, mais une institution de la prostitution généralisée, où le consommateur du corps apparaissant – celui du lofteur, du koh-lanteur, du star-academeur – jouit de sa possibilité d’incarner l’idéal de la norme par cannibalisation de la subjectivité présentée. Welcome in the brave new world : la nouvelle société sera anthropophage ou ne sera pas. Bienvenu au festin nu de nos propres chairs : vous passez à la télé, alors souriez, le banquet se fait sous anesthésie !
March 1, 2002 · category [une], [video]
est une videopoetry, réalisée en 2002. Elle a été projetée à de très nombreuses reprises dans des soirées poésies ou des festivals de vidéos [Beaubourg, Instants vidéos, etc…].
Cette vidéo s’inscrit dans la démarche d’une intégration totale entre textualité, image et réflexion sur le corps et la mémoire. Elle apparaît aussi comme l’un des premiers travaux d’exploration du travail de compositing.
February 1, 2002 · category [texte], [une]
[lire la présentation]
Continuum
Reprendre la vie comme si rien ne s’était passé, comme si j’ignorais ce qui s’est produit, regarder les autres et ne rien dire faire semblant de … Théâtre = à la fois être le corps de cet autre, être le corps à savoir être sa langue, l’incarner, dire au rythme d’un dire qui n’a jamais eu lieu ailleurs que dans la fiction faite d’une présence qui aurait pu être réelle & dire le texte qui est attendu déjà écrit. Théâtre = scène ici ouverte d’un texte qui se produit en improvisation, comme si la langue se répétait dans l’immédiateté de sa première venue, le théâtre est le lieu des comme si … Théâtre = schizophrénie une meute en moi, eux encore là présents indélébiles toujours le goût amer & salé du sperme dans ma bouche, toujours la brûlure dans mon anus, toujours l’odeur aigre de l’urine, toujours leurs rires toujours les ecchymoses de leurs coups toujours le vacarme de leur musique toujours leur visage collé contre mes yeux. Théâtre = aussi la scène du mensonge, puis-je lui dire, lui avouer, tirer dans ma bouche les mots du secret traverser la distance me relier rompre le différé sentir autre chose que la culpabilité. Théâtre = bouche + corps + lieu + mouvements + intrigues + regards dressés à regarder + bouche ouverte + respiration + yeux clos + portes claquées + apartés + didascalies + lèvres closes + répliques tirées vers l’ellipse + calcul des pas + la distance + mécanique intransigeante + secrets + secrets avoués + oui c’est certain les secrets se disent au théâtre c’est ce qu’on appelle le dénouement + corps masqué + immobilité + visage grimé + seconds rôles + fantômes + attente + articulations + gestes de la main qui traversent l’air pour gifler une figure + lettres anonymes + rebondissements + élasticité du temps + corps nus corrompus éreintés transpirants + face à face + dos à dos + rideau levé baissé levé baissé ce qu’on appelle les actes + la saccade des hésitations qui instaurent la connivence avec le spectacteur + le noir qui entoure la pupille lumineuse de la scène + les sourires + la tête baissée + la proximité + les cris les larmes les nerfs les drames les hurlements les insultes + le regard droit sans faille + le masque encore & toujours celui de la voix de la bouche qui articule en mot le crâne qui s’est travesti en l’altérité charnelle du fantôme + la profondeur épaisseur largeur longueur du lieu + les diagonales + les murs + la répétition … Impossible théâtre avec elle, impossible jeu le mensonge ne peut être que réel, savoir que durant nos étreintes elle touchera & enfoncera son index dans l’anus violé, qu’elle glissera sa langue dans la bouche qui a sucé des sexes anonymes, qu’elle avalera mon sperme mélangé aux leurs, qu’elle jouira de ma castration indépassable, qu’elle me dira des mots qui ne me feront pas oublier la haine déferlante de moi à moi, comment me cramponner au théâtre. Impossible théâtre car la durée n’a pas de recul n’a pas de répétition n’a pas d’entracte n’a pas de première & de finale n’est pas la combinatoire d’une mise en scène de boulevard qui s’achève dans un tout est bien qui finit bien. Théâtre du corps = lieu tragique de la souffrance réelle d’une effraction de moi à moi qui n’a de recul que la violence qui m’éperonne, le dégoût les clous qui transpercent les vertèbres & griffent jusqu’à l’abandon de soi la moelle. Théâtre de la présence se débattre sentir qu’on m’a mis un sac plastique sur la tête pour que j’étouffe mime seulement cris sans puissance qui ne franchissent pas la surface translucide; me débattre claustrophobie généralisée, un univers me comprime la cage thoracique prête à éclater ne plus pouvoir respirer. Mais là oui le trou dernier avatar du théâtre de mon corps le trou qui s’ouvre comme les ouïes des poissons, qui s’ouvre se dilate & absorbe l’air. Théâtre de la mutation, théâtre de la transgression, non plus théâtre mais peut-être cirque. Animal de cirque, je danse face aux autres, tais la douleur qui me permet de faire le numéro, tais les efforts qui m’ont conduit à ce naturel. Ne pas mentir,ne pas, ne pas me faire autre. Continuum = recoller le recto du 24 décembre & le verso du 26. Recoller cicatriser, abraser la trace. Qu’il n’y ait plus rien. Mais comment recoller, une chienne de douleur gratte dans mon crâne, fait suinter la blessure. Reprendre comme si rien ne s’était passé : formule absurde qui exigerait l’amnésie pour s’y tenir, formule liée à l’illusion de la mécanique. Reload. Mémoire effaçable. La douleur, elle vorace n’est pas de cet ordre. Savoir que leur présence poursuit son enracinement, que la présence que mon corps leur accorde est l’ineffaçable du corps lui-même, qu’on ne peut prétendre le calmer, qu’on ne veut pas cet effacement de toute façon, qu’ainsi pressé je n’ai que l’endurance pour espoir. Faire comme si, impossible schizophrénie, devenir autre & oublier cette signature du corps / je le découvre certaines expériences ne peuvent être réduites par le comme si. Il n’a pas la force de reboucher les entailles provoquées par le choc de l’existence. Fiction : faire comme si serait en finir avec l’idée de l’affect propre à la rencontre des choses, les aspérités propres aux expériences seraient toujours le jouet d’une loi fondamentale qui est celle de l’oubli. Comment faire comme si lorsque dans ma chair, je sens encore là dans le corps là de part & d’autre là dans ma bouche & mon cul leur membre. Comment faire alors que la monstruosité de ce corps aux multiples sexes emplit toujours ma vue & terrasse mes tympans par la stridence de son râle de jouissance, par le raclement de ses tréfonds au moment de la jouissance. Comment faire comme-si quand je sais par avance que ce viol fait partie intégrante de chacun de mes souffles. Le continuum ce qui se poursuit dure, résiste à toute réduction à une suite de moment, évinçable lors d’un revirement d’humeur. Continuum mon corps sur lequel s’est frotté l’abject d’une crasse inaltérable. Continuer à parler à penser. Continuer de la voir & ne rien dire. Continuer = devenir le clinicien de moi-même, m’examiner scruter les changements physiologiques observer le vieillissement de mon trou. Il n’y aura qu’elle qui saura. Acceptera-t-elle de coucher avec moi, d’embrasser la lisière de mon trou ? Tiendra-t-elle le secret ? Au théâtre le secret n’a jamais lieu, au théâtre il est toujours le prétexte pour être dit. Tout levé de rideau représente le secret trahi. Au théâtre comme si a un sens pas ici. Au théâtre, il y a la foule qui, comme s’il y avait connivence, partage le secret. Le théâtre du corps ne supporte pas la trahison, il est la mise en scène du secret comme l’indicible de ses actes. Continuer = réalisme cru & sans illusion sur le temps, iréversible il multiplie l’entropie & met en charpie toute prétention à la ligne droite, à l’intrigue linéaire. Elle ne devra pas répandre la nouvelle, cela me transformerait définitivement en animal de foire, objet de toutes spéculations pour les nouveaux monsieur loyal du cirque moderne. Elle devra garder pour elle ce qui n’aura pas de mots par ma bouche. Elle devra conserver précieusement, presque pieusement, cette anomalie sans qu’aucune phrase ne se dise. Me tenir pour invisible. Me regarder comme le secret lui-même. Je serai le secret de son existence .
December 5, 2001 · category [livre], [publication], [une]
Publication en décembre 2001, de K.or t(OR) Tu(R)& avec la peintre Anne van der Linden, préface Mehdi Belhaj Kacem, éditions Trame-Ouest, 200 ex. [épuisé].
Je présente ici une copie du début du livre.
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