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[intelligence artificielle] L’IA et le pararéalisme de la forme

 

l’impossibilité du corps

 

Notre corps est constitutif de la  représentation de soi. Si pendant longtemps il n’a pas été un objet d’études historiques ou sociologiques, s’il a été écarté et critiqué notamment par le dualisme métaphysique, il n’en reste pas moins qu’il a quasiment toujours été central dans la représentation de nous-même au niveau esthétique, tel que l’explique Georges Vigarello qui, dans de nombreux essais, a montré le lien entre la représentation du corps et notre représentation historique, politique, sociologique… Une partie de mes derniers travaux s’intéressent à la question de la représentation du corps à partir d’Intelligences Artificielles (IA) fondées sur le processus du CLIP (constrative language-image pretraining). La fiction, de laquelle je pars, est celle d’une IA, qui nostalgique de la disparition de l’homme, tenterait de se représenter ce qu’il a été. L’ensemble des différentes séries entre ainsi dans le projet global : la solitude de l’IA, où j’imagine que HAL 9000, l’IA de 2001 l’Odyssée de l’espace aurait tué Dave et serait restée seule à tourner en rond tout autour de Jupiter. HAL est mélancolique. L’humanité lui manque.

Les corps que produisent une IA ne ressemblent pas aux nôtres.

Il y a une différence entre le corps déformé et le corps produit par l’IA. Intuitivement, lorsque l’on regarde des corps peints par Egon Schiele ou bien Bacon, on pense à une distorsion. On reconnait le corps, mais on attribue les disproportions, les mutilations, les déformations ou les mutations à une intentionnalité humaine. Le corps humain déformé serait alors un processus d’altération et de composition à partir d’un premier corps non donné, mais intuitivement là. On aurait comme une image transcendantale du corps.
On peut penser ici à Hussserl. Il y aurait une forme empirico-transcendantale du corps chez l’homme (Leib). Forme apriori qui serait emplie et révélée par notre expérience, un corps premier en tant que puissance des possibles du corps qui se révèleraient et s’incarneraient par les variations d’expériences que nous faisons de notre corps et du corps de l’autre. L’enfant qui ne sait pas encore vraiment dessiner, représente le corps par un schéma simple mais qui montre un agencement des parties. Ainsi la conscience humaine, parce qu’elle appartient et est enveloppée par un corps, possède pré-réflexivement le schéma transcendantal du corps. Dessiner et peindre un corps tient ainsi de l’acte réflexif de la matérialisation de ce schéma. Cela peut aller vers l’la ressemblance visuelle et optique du corps (mimétique), ou bien s’échapper, s’arracher du primat mimétique selon d’autres formes de variations (symboliques, psychologiques, culturelles, technologique, etc).

L’IA fonctionne, notamment pour les processus CLIP, avec des bases de données qui constituent l’a priori de son champ de représentation. Ces bases de données associent à partir de training des relations entre langage et image, selon des degrés statistiques. Ici les processus sont complexes, au sens où cela ne fonctionne pas selon une simple transitivité mais par des processus de décomposition de l’image et d’apprentissage. A priori, ainsi, on pourrait penser que l’IA sait ce qu’est un corps au sens où on lui en a fourni des images et qu’algoritmiquement, nous avons associé celles-ci à son concept. Mais l’IA ne le sait pas en tant qu’elle en ferait l’expérience, mais en tant que par l’analyse des images qui lui sont données, elle associe des formes distinctes, des possibles à ce qu’est le corps humain. Elle n’a pas a priori l’intuition du corps, mais c’est par la répétition des données que statistiquement, elle peut inférer ce qu’est un corps.

La déformation dans une IA n’est pas intentionnelle et n’est pas son processus. Au contraire elle produit imméditament de la forme à partir d’un champ de pixels. Ce qui inaugure son processus n’est pas de l’ordre de la donnée, mais de la puissance de l’indéfini. C’est en sens qu’elle part d’un bruit de pixels (par exemple un bruit de perlin, mais une image définie sera aussi d’abord et avant tout une forme de bruit), qui en soi enveloppe pour son processus tous les possibles qui pourraient apparaître. t elle va rechercher dans ce bruit des possibilités de forme.
En ce sens, on pourrait rapprocher son processus de la recherche de Giacometti tel que Sartre a pu l’analyser. Giacometti fait apparaître la forme, ouvre comme à partir de la pierre noire de son enfance les possibles, la laissant venir de la matière et la donnant à voir dans le suspens de son surgissement. Chez Giacometti, il ne s’agit pas de déformation, mais du mouvement arrêté de l’advenir de la forme, ce qui apparaît aussi bien du Cube noir de 1934, que dans ses dessins ou peintures. On pourrait aussi rapprocher cela du travail de l’artiste suédois Joakim Stampe qui à travers les rugosités de la matière, laisse venir des possibles de formes. Il utilise la roche, ou les surfaces de murs comme des bruits de perlin et tentent de faire surgir des représentations, celles-ci étant souvent liées au visage.

De sorte que si on peut lire à propos des images de l’IA, qu’il y aurait une forme de surréalisme dans ces créations. Il faudrait cependant se méfier de cette expression. Le surréalisme, au sens des surréalistes et de l’art, tient de la tentative d’arracher des liaisons conçues par la rationalité et la science, les objets constituées (Alquié, Philosophie du surréalisme). Le surréalisme tient en ce sens à ce que pourrait dire Bachelard de l’imagination : « la faculté non pas de former des images, mais de les déformer ». Ce qui signifie qu’il y a bien une conscience a priori de la forme. Et que l’on emploie une méthodologie pour arracher, déplacer, réformer la forme de ses déterminations et compositions données.

Le processus de l’IA n’est pas surréaliste, ce sera celui qui l’emploie qui se positionnera, mais il fait naître un réalisme qui lui est propre. L’IA tente selon ses déterminations de constituer la réalité de ce qui lui est donné comme énoncé. La notion de surréalisme – si elle est utilisée – ne vaut que pour l’observateur humain, qui a dans sa conscience un ensemble a priori de représentations de monde. Il y a en fait une forme de confusion entre celui qui opère ou observe et la technologie opérante quant à la définition de nature de l’objet produit. L’IA ne transgresse aucune représentation, ne déplace aucune forme apriori. Elle fait apparaître un possible de la forme selon le processus qui lui est propre.

La surréalité n’existe que pour celui qui a apriori une connaissance de la forme des objets. C’est le sujet humain qui est surpris par ce qui surgit, nullement l’IA.

C’est selon cette perspective que mon travail sur le corps avec les IA que j’utilise se situe. Je tente de laisser l’IA constituer le corps humain à partir d’énoncés qui se rapportent à lui. Bien évidemment dans chacune de mes recherches, le rapport aux programmes est important – se constituant dans une liaison bien perçue par Vilem Flusser dans La philosophie de la photographie – toutefois, ce qui me fascine en tant que premier spectateur, c’est cet écart entre l’image a priori du corps qu’il y a en moi, et qui que je le veuille ou non me hante et se donne comme étalon de ma représentation, et le corps tel qu’il se constitue par l’IA.

C’est sans doute là que se constitue une forme de fascination pour le regardeur. Non pas dans la forme du surréalisme, mais davantage d’un pararéalisme, d’un réalisme d’à-côté.
Ce pararéalisme ne définit pas par lui-même une ontologie de la forme et ne repose pas sur une ontologie de monde ni sur une ontologie du sujet créateur. Car à chaque fois qu’est relancé l’IA, de nouvelles formes possibles du corps surgiront qui introduiront au niveau de notre compréhension de nouveaux schèmes possibles ontologiques. Ce n’est pas l’imagination du sujet humain qui est à l’oeuvre, mais le processus de l’IA. Il y a là une forme de suspension de toute fixation ontologique des êtres et des choses dans le processus de création de l’IA. Elles restent dans l’indétermination de leur possible, dans une impossibilité de leur incarnation déterminée. L’IA ouvrirait ainsi subrepticement à des dimensions parallèles, non pas constituées en monde, mais selon des parcelles détachées, des éclats de pararéalité non liées. Ce qui est donné ne l’est pas en référence au créateur, mais cette imagination est extérieure à lui, pour être, elle s’en échappe, lui reste obscure.

[artificial intelligence] The rest of our humanity

 [FRENCH] Depuis 2014, une part de ma recherche interroge la mémoire post-humaine, à savoir la possibilité de la constitution d’un récit post-historique. Shape of memory était le premier versant, qui a été suivi par les différentes séries des paysages de la catastrophe, que j’ai inauguré avec l’événement de Fukushima. 

La post-historicté se définit comme une histoire qui ne serait pas le résultat de la conscience humaine. La pré-histoire est la période où l’humanité n’était pas encore dans la possibilité réflexive d’écrire son histoire. La post-historicité est un état hypothétique, où d’autres formes de représentations que celle d l’homme, pourront définir ce que fut l’humanié avant sa disparition. Il s’agit en ce sens de penser une archéologie du futur. Je pose comme hypothèse que les intelligences artificielles, une fois l’homme disparu enquêteront sur cet effacement, tenteront de reconstituer, aussi ce qu’était son corps, que l’histoire de sa fin. 

La série de création The rest of our body constitue ainsi la 5ème partie des Paysages de la catastrophe (Disaster landscape). Une intelligence artificielle tente de penser les derniers moments de l’homme et d’en donner une représentation. Elle le fait à partir de sa base de donnée. Ce qu’elle matérialise ce sont des énoncés à la fois historique et sociologique ("L’homme est enfermé dans un monde d’écran", "Le monde est exploité par l’homme" etc…) Tous les énoncés qui ont servi à créer ces images sont tirés d’articles et d’ouvrages qui mettent en évidence l’effondrement du monde humain. 

[ENGLISH] Since 2014, part of my research has questioned post-human memory, namely the possibility of the constitution of a post-historical narrative. Shape of memory was the first slope, which was followed by the different series of landscapes of the disaster, which I inaugurated with the Fukushima event.

Post-historicity is defined as a story that is not the result of human consciousness. Pre-history is the period when humanity was not yet in the reflexive possibility of writing its history. Post-historicity is a hypothetical state, where other forms of representations than that of man, can define what the human being was before his disappearance. In this sense, it is a question of thinking about an archeology of the future. I hypothesize that the artificial intelligences, once the man has disappeared, will investigate this erasure, will try to reconstitute, also what his body was, as the history of his end.

The creation series The rest of our body thus constitutes the 5th part of the Landscapes of the disaster (Disaster landscape). An artificial intelligence tries to think of the last moments of man and to give a representation of them. It does this from its database. What it materializes are statements that are both historical and sociological ("Man is locked in a screen world", "The world is exploited by man" etc …) All the statements that have used to create these images are taken from articles and books that highlight the collapse of the human world.

Chaque photographie (7800X7800 pixels) est tirée à 2 exemplaires uniques (un tirage artiste et une oeuvre à vendre) en format 70cmX70cm pour les oeuvres carrées. 

Série 1 : 

 

série 2 :

 

 

[artificial intelligence] body mutation : the absent body

 

[French] Mon nouveau travail porte sur la question de la représentation par l’intelligence artificielle. La série "body mutation" s’interroge sur la composition du corps par une IA. 
Notre perception du corps n’est pas seulement extérieure, mais elle est liée à une intuition intérieure, qui fait que nous avons toujours déjà un corps et sa représentation, même schématique. Husserl, dans Les méditations cartésiennes, se posant la question de savoir pour quelle raison, nous étions en relation à l’autre, en tant qu’homme, posait la nécessité, au niveau transcendantal d’un Leib. D’un corps premier, qui ferait que l’on se reconnaitrait à travers la présence des autres hommes. C’est ce qui fait qu’un enfant, même très jeune, dessine un corps configuré d’homme. Même s’il est très rudimentaire, fait de bâtons, ce qui apparaît c’est une structure de corps.

Les intelligences artificielles n’ont pas ce Leib. Lorsqu’on leur demande de composer un corps, si leur base de données est large, elles vont par statistique chercher à composr un corps sans l’auto-référence à ce que serait un Leib d’elle-même.
Elle inventent alors le corps, elles ne vont pas le composer selon un schéma a priori, mais elles vont tenter de le constituer : elles en ouvrent des possibles.
Ce qui m’intéresse ici c’est en quel sens tout à la fois l’IA excède le corps et le manque du fait du corps absent.

[English] My new work deals with the question of representation by artificial intelligence. The series "body mutation" questions the composition of the body by an AI.

Our perception of the body is not only external, but it is linked to an internal intuition, which means that we always already have a body and its representation, even schematic. Husserl, in Cartesian meditations, asking himself the question of knowing for what reason, we were in relation to the other, as a man, posed the necessity, at the transcendental level of a Leib. Of a primary body, which would make you recognize yourself through the presence of other men. This is what makes a child, even a very young one, draw the configured body of a man. Even though it is very rudimentary, made of sticks, what appears is a body structure.

Artificial intelligences do not have this Leib. When asked to compose a body, if their database is large, they will statistically seek to compose a body without self-reference to what a Leib of itself would be.

They then invent the body, they are not going to compose it according to an a priori scheme, but they will try to constitute it: they open up possibilities.

What interests me here is in what sense at the same time the AI exceeds the body and the lack due to the absent body.

Toutes les photographies sont faites par IA. Elles sont en haute résolution (dimension 70cmX70cm) et sont tirées à 2 exemplaires chacune sur dibond.

 

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