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[article d'actu] L’École n’est pas un monde à part M. Sarkozy.

Lors de son discours de campagne de Maison-Alfort [2 février 2007], Nicolas Sarkozy, stratégiquement, a visé une nouvelle catégorie ancrée à gauche : les professeurs. Il est nécessaire de mettre en évidence un certain nombre de faux-semblants véhiculé par sa diatribe.
Faisant le constat d’un échec de l’Éducation Nationale, il a focalisé tout au long de son intervention le problème de l’École, comme ne dépendant que du rapport professeur-élève et du statut professoral. En, ce sens, si l’école éprouve certaines difficultés et s’il y a des problèmes qui se produisent dans les collèges et les lycées surtout, cela tient principalement à la manière dont l’École est pensée actuellement. C’est en ce sens qu’il a posé la nécessité d’un redurcissement de l’École aussi bien au niveau de l’apprentissage qu’au niveau de la discipline, ceci devant produire l’effet escompté : un rétablissement de l’ordre dans le cadre scolaire.

Toutefois, derrière cette apparente cohérence, des remarques sont à faire. Le philosophe Alain, au début du siècle, lorsqu’il définissait la construction de la conscience de soi, posait que celle-ci se faisait par imitation, reprenant en ce sens la thèse de Tarde, imitation de tout le bruit quotidien de la famille : papa, maman, la bonne. L’enfant immergé dans une famille, ne pouvant avoir de vie que locale (n’ayant aucun moyen technologique pour délocaliser ses références) était tenu dans le cadre familial, du quartier, de l’école, puis de l’entreprise, souvent sans jamais sortir de ces dimensions : peu de déplacements, peu d’informations, pas d’interaction avec des dimensions extérieures. L’imitation reproduisait effectivement les modèles de la famille, et souvent de la classe sociale et ceci via la reproduction des habitus comme l’a montré ensuite Bourdieu.
Cependant, ce début du siècle, ou la fin du XIXème siècle est bien loin !
Ce n’est pas seulement l’École qui s’est modifiée, mais s’il y a eu modification de l’École, c’est corrélativement aux changements de la société et des processus de construction de soi de l’enfant. L’enfant ne se construit plus seulement dans le rapport à la famille, mais dès le plus jeune âge, il est immédiatement poser face à des modèles hétérogènes à celle-ci, extérieurs, et produits dans bien des cas selon une logique médiatique de profits pour celui qui fabrique le modèle. La psychologie sociale, à la base du marketing, étudie bien cela : il s’agit d’impacter positivement le récepteur d’une diffusion quelconque afin de lier avec lui une relation de dépendance. C’est en ce sens que la formation des modèles repose sur l’étude spécifique des conditions affectives et cognitives de réception de la part de l’enfant. L’enfant d’aujourd’hui, tirant ses modèles de la télévision, des jeux vidéos, des sites internets, n’est plus du tout celui du début du XXème, sa compréhension du monde, n’est pas forcément plus ouverte et plus large, mais elle s’est déplacée quant à ses références, elle s’est même dispersée pour se construire parfois selon certaines intentionnalités hybrides.
Dès lors l’Ecole, n’est plus le référent culturel éducatif premier qui succède à la sphère parentale et qui lui serait lié selon les valeurs. Mais dès le plus jeune âge, l’enfant est immergé dans des processus éducatifs extra-parentaux et pré-scolaires qui vont le déterminer et lui inculquer un ensemble de valeurs qui peuvent être parfois opposées à celles de la famille et de l’École.
C’est ce filtre qu’oublie Nicolas Sarkozy : le comportement des enfants ne vient pas d’abord de l’École et de son relâchement, mais la transformation de celle-ci est due à la transformation aussi bien des contenus que des formes de conscience des enfants. S’il y a des problèmes l’École, lié à certains types de comportements, c’est qu’agit pour une part ces nouveaux modèles sur l’élève. L’École n’est pas refermée sur elle-même, mais elle est le lieu où se diffuse même cette culture médiatiquement construite. Elle est le lieu de la socialisation des modèles ainsi perçus, lieu de leur assimilation.

Certes, l’idée de l’élève, comme table-rase, que l’on instruit fait rêver. On se laisse aller à penser quel bonheur cela serait si tous les élèves étaient dans la volonté d’apprendre, de se cultiver, de connaître. Toutefois, arrêtons-là les rêves. Car il ne faut pas considérer l’élève et l’École telle qu’on aimerait qu’ils soient, mais telle qu’ils sont et selon les conditions historiques de leur être.
Le problème de l’École est ainsi à reposer dans le cadre général d’une réflexion sur la culture et l’éducation selon l’ensemble des interactions sociales, culturelles et économiques.
Par conséquent, loin de penser l’École avec comme référent son passé pour tout horizon d’avenir, il faut réfléchir d’abord son présent, et les mécanismes qui la définissent, qui interagissent avec elles. Car au lieu de caricaturer l’Ecole et ses résultats comme le fait Nicolas Sarkozy osant dire cette absurdité : l’«école ne fonctionne plus comme un lieu de transmission du savoir mais comme une gare de triage où se joue, dès le plus jeune âge, la destinée de chacun», il vaudrait mieux d’abord s’intéresser spécifiquement au fait que certaines populations, tout à la fois localisables géographiquement et économico-socialement, ne peuvent transmettre le modèle de la réussite scolaire face aux modèles qui jouent sur la conscience de l’enfant, alors que pour la grande majorité de la population scolaire l’école est bien un lieu d’apprentissage, voire même d’épanouissements intellectuels, qui permet de se forger certains modèles. Et ce n’est pas en agitant sans cesse l’argent, la réussite financière [leitmotiv sarkozyste s’il en est un] que l’on pourra lutter contre certains modèles médiatiques hétérogènes à l’École, au sens où leurs valeurs sont plus efficaces et de loin sur la conscience des enfants ou adolescents.

Tout le paradoxe de Sarkozy, qui dépasse largement ce problème de l’École, apparaît : car son discours contredit les faits : ce qu’il défend, et qui il fréquente. En effet, et pour ce cas précis on le perçoit : d’un côté il est l’allié d’entrepreneurs qui font peu de cas de la culture au profit de leur bénéfice [Lagardère, Bouygues/TF1] et de l’autre son discours impliquerait une transformation globale du cadre social de l’École. Même paradoxe avec les travailleurs.
Mais ne nous leurrons pas : si sa stratégie est claire et visible, malheureusement elle ne sera que peu perçue, l’apparence des mots étant plus forte que leur analyse.