[article] Narratologie des Sims
[article paru sur agoravox] Avec la sortie des Sims 2, il y a plus d’un an, une nouvelle pratique narrative est née sur les skyblogs : les histoires de Sims, faites de vignettes. Comment comprendre ce phénomène et cette narrativité ? Le phénomène Sims n’est pas récent au niveau du jeu vidéo, et sa mise en question par la littérature a déjà eu lieu de même, avec le livre par exemple de Chloé Delaume : Corpus Simsi (ed. Léo Scheer) où Chloé Delaume se fictionnalise et interroge ce monde numérique à partir de son avatar Sim. C’est en ce sens qu’elle avait ouvert corrélativement à la sortie de son livre, un blog : Le blog d’une Sims pire que les autres, avec un calendrier se déclinant sur le syntagme du jeu : 1er simsirien, etc. Mais, depuis, est sorti Sims 2, gestion 3D, beaucoup plus développé au niveau de ses moteurs de rendu, et des simulateurs de vie. Une nouvelle forme de narrativité est née sur Internet, qui associe création d’histoire et capture d’écran du jeu des Sims. A partir du site sofia-sims, il est possible de découvrir une multiplicité de sites qui déclinent ces histoires de Sims. La majorité des sites qui apparaissent dans ce type de narrativité semblent retranscrire une existence calquée sur celle qui est vécue au niveau du monde réel, à savoir ils se présentent comme des représentations/réappropriations d’un vécu de sens, et de sa mise en jeu selon l’imaginaire particulier de chacun des créateurs.
Si l’on considère le blog academie-mania, par exemple, on voit une aventure de jeunes qui rentrent dans une académie qui pourrait ressembler à la Star-academy. Le créateur duplique cette logique du format télévisuel, et met en situation ces personnages selon la variation des motifs psychologiques qui les relient. Dans un autre blog, il se met à décliner, façon sitcom, une histoire de couple. Ces blogs narratifs ainsi sont des lieux où les créateurs peuvent aborder un certain nombre de problèmes liés soit à la vie personnelle soit à la société. On retrouve par exemple cela dans le blog : Julia, Une femme, des rêves, une vie… qui raconte les aventures sentimentales et sociales d’une jeune femme lesbienne dans la lignée de la série L-World. L’auteur de cette aventure, qui en est à la saison 4, non seulement retranscrit une sitcom, mais en plus implémente dans son blog la logique de construction des séries, les composant par saisons. De plus, alors que les saisons 1 & 2 n’ont pas de cinétique, dès la saison 3, cela s’ouvre par l’intégration sous la forme de gif animé de cinétique. Il est évident, à lire ces histoires, qu’au niveau narratif, elles ne sont pas créatrices réellement d’un nouveau format, au sens, où elles ressemblent au roman-photo d’antan, mais selon une autre modalité de production d’images, puisque les acteurs de ces récits sont virtuels, issus de la modélisation de personnages. Mais ce qui différencie le classique roman-photo de ces histoires bloguées, tient au fait que les lecteurs peuvent donner leur avis, intervenir dans les comments. Ce dont ils ne se privent pas, si on considère le nombre de commentaires laissés par exemple sur les deux blogs de Julia qui retranscrivent les 4 saisons des aventures (6129 commentaires pour les 2 premières saisons et déjà 10733 commentaires pour les saisons 3 & 4 alors que la saison 4 n’est pas finie). Donc les créateurs, plutôt que d’entrer dans un ordre de trangression soit de la narrativité, soit même des convenances sociales, économiques, en redéploient la modalité par la variation seulement des contenus. En ce sens, ces aventures de Sims par vignettes se présentent comme des lieux de réflexion et de réappropriation de la réalité sociale par les auteurs, non pas en vue d’une critique, d’une remise en cause, mais en tant qu’ils semblent rechercher à définir par eux-mêmes, en tant qu’ils sont les démiurges de ces mondes, une certaine forme de cohérence sociale, par le jeu de rôle. Il y a ainsi tout à la fois un caractère symptomatique dans ces narrativités, et un espace de construction/réflexion du lien social. Caractère symptomatique du fait de la standardisation aussi bien du fond et de la forme. L’utilisation du blogging de skyblog, réduisant l’inventivité représentationnelle, formalisant la linéarité au plus strict minimum, et d’autre part le cadrage des vignettes reproduisant le plan américain des séries, la composition télévisuelle. Au niveau du fond, il est évident, que ce sont les modèles de même télévisuels qui influencent ces créations, en tant qu’elles en décalquent les principes aussi bien situationnels que les dialogues et les réactions. Mais au-delà de cette critique de la standardisation de l’imaginaire, il est aussi évident, que les créateurs entrent dans un espace où ils réfléchissent à leur propre existence par la médiation de la fiction qu’ils créent, de même cette réflexion entre en relation avec la communauté des commentateurs qui suivent ces aventures. Ainsi pour conclure, si rien de bien nouveau ne se présente vraiment dans ce nouveau format narratif, cependant une nouvelle fois se découvre en quel sens la possibilité de la réappropriation du lien social passe par les médiations numériques, aussi bien ludiques que narratives.