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[article] Pourquoi l’alter-mondialiste est-il un bourgeois comme les autres !

[article paru sur Hermaphrodite]
On l’attend cette rentrée, on l’attend et on le dit, on n’a de cesse de l’annoncer : « elle sera dure pour le gouvernement, elle sera sociale ». De l’appel de Bové, lors des réunions du Larzac avec les alter-mondialistes, qui appelle à la mobilisation le 6 septembre au SNES qui en appelle déjà aux premières manifestations entre le 3 et le 9 septembre, revoilà l’agitation tant redoutée par un gouvernement qui n’a lors de cet été eu nul repos, forcé à l’insomnie tour à tour par les intermittents du spectacle, la canicule, les problèmes hospitaliers ou le teknival. On l’attend, car on dit que l’économie pourrait être régie autrement, on dit que tout ce qui est pourrait ne pas être ou pourrait suivre une autre logique.

Avant de savoir si tel est vraiment le cas, me détournant de ce « on » bien sympathique, haut en couleur, joyeux, bataillon de paysans aux corps sains ou robustes, de professeurs héritiers du PSU ou de jeunes alter, rapides à la rengaine condamnant le capitalisme, j’aimerais quand même interroger cette possible volonté de changement. En effet, à écouter ces alter, à écouter chaque pôle de revendication, changer de logique en économie et en politique serait seulement une histoire de volonté, de puissance de décision. Mais est-ce le cas ? Derrière ces discours de bon alois, ces discours généreux, charismatiques et altruistes, cléments et humanistes, ne se structurait-il pas une même volonté que celle dénoncée, comme si, le retournement de la loi actuelle renverrait comme Lacan avait pu l’analyser autrement, à son double caché ? Flash-back : cette année, longue et tumultueuse pour le gouvernement Raffarin, a vu des décisions prises par celui fondées, sur deux articulations impliquées, qui ne sont cependant pas équivalentes : 1) tout d’abord le discours de la « nécessité » ; 2) le fait que son action est de type messianique, venant sauver portant en elle la vérité de la logique économique future (n’oublions pas que certaines décisions comme la cotisation des retraites est établie sur une perspective de déclin à moyen terme fixé à 2020). Ces deux points, les alter, bon enfant, ne paraissent pas l’avoir mis en évidence. Ils ne paraissent pas avoir relever cette question rhétorique de ce qui légitime un discours politique et interventionniste. Ceci parce que, les alter-mondialistes, ou encore les syndicats semblent considérer l’économie au sens classique du terme, en tant que dimension humaine qui serait seulement dirigée par la volonté humaine. Vision aristotélicienne primitive, qui s’est ensuite sédimentée aussi bien dans les théories keynésiennes ou néo-classiques. L’économie n’est, qu’en tant qu’elle est une dimension issue et produite par l’homme, jamais autre chose. Mais quoi autre chose ? Une dimension qui s’impose comme une nécessité que l’homme ne peut plus modifier par l’ordre de sa volonté. C’est ici précisément, qu’il est urgent de penser la rhétorique politique, et Agamben, sans jamais approfondir cette question de la constitution de l’économie, cependant dans son dernier livre, Etat d’exception, paraît indiquer la nouvelle logique économique dans laquelle nous nous enfonçons, en mettant en parallèle l’Etat de siège ou d’exception martial et un Etat d’exception qui serait fondé à partir de la dimension économique. Agamben dans sa suite d’Homo sacer, met en évidence ce qu’est un Etat d’exception, à partir de l’analyse de la notion d’Etat de siège, héritée tout d’abord du XVIIIème siècle et du décret du 8 juillet 1791 de l’assemblée constituante, indiquant, que face à une urgence mettant en péril réellement (état de siège politique) ou potentiellement (état de siège fictif) un Etat, « toute l’autorité, dont les officiers civils sont revêtus par la constitution pour le maintien de l’ordre et de la police intérieurs, passera au commandement militaire, qui l’exercera exclusivement sous sa responsabilité personnelle » (Reinach, De l’état de siège. Etude historique et juridique, Paris, 1885). L’état de siège, ou encore état d’urgence, nous le percevons, c’est un moment politique, ou toute assemblée législative est dépossédée de son autonomie et de ses pouvoirs, au profit d’un pouvoir exécutif qui exceptionnellement obtient les pleins pouvoirs. Cette figure, que Carl Schmitt reprendra dans La dictature, selon Rossiter tend à devenir le paradigme constitutionnel du pouvoir non seulement pour les régimes dictatoriales mais aussi et surtout pour les démocraties modernes : « A l’âge atomique dans lequel le monde aujourd’hui, il est probable que l’usage des pouvoirs d’urgence constitutionnels devienne la règle et ne soit pas l’exception » (Rossiter, Constitutional Dictatorship, New-York, Harcourt Brace, 194). Il n’y a qu’à percevoir, comme le souligne Agamben, les décisions politiques et martiales prises par Bush depuis le 11 septembre 2001, pour comprendre, qu’une démocratie comme les Etats-Unis dérivent de plus en plus vers une prise de pouvoir hégémonique de l’exécutif, et ceci non plus seulement au niveau national mais au niveau international, pouvant selon une menace potentielle (état de siège fictif) déroger au système législatif de l’ONU (Conseil de sécurité) . Ce qu’indique avec pertinence ainsi Agamben, c’est que les individus selon des nécessités produites au niveau de la représentation par le pouvoir, sont de plus en plus les otages d’une loi qui ne répond que de l’urgence, les amenant à n’être que corps nu, passif face aux décisions, susceptible de toute arrestation, ou annihilation sans autre droit que celui de se taire (Guantanamo). Mais derrière cette question de l’état martial, de l’état d’exception militaire et politique, il suggère par deux fois, que peut-être cet état d’exception se constituerait aussi – et selon nous surtout – selon une représentation économique : « Comme il est significatif que l’urgence militaire cédât la place à l’urgence économique, par une assimilation implicite entre guerre et économie » (Agamben, Etat d’exception, p.28). Ce glissement, amenant que l’on détermine un état d’urgence selon une nécessité, ou l’instrumentalisation d’une nécessité tel que l’analysa et le montra Machiavel au chapitre XVIII du Prince, est observable sans difficulté au niveau de la rhétorique du gouvernement français actuel sur le plan économique. Qu’est-ce qui est reproché spécifiquement par les alter et les syndicats à ce gouvernement Raffarin ? Qu’il prenne des décisions sur le plan économique à partir non pas d’une délibération collective, et donc un dialogue, mais selon une autorité de l’exécutif qui a la mainmise totale sur le législatif (Assemble nationale et Sénat). Toutefois, au lieu d’immédiatement renverser cette position gouvernementale, laissant impensées les causes d’une telle logique politique, il est nécessaire de comprendre la structuration rhétorique des décisions : Que cela soit, Perben, Fillon, Ferry, Aillagon, Mattei, tous, tour à tour, établissent les prises de décision de l’exécutif (retraites, cotisations chômage, etc…) sur une question de nécessité, un état d’urgence à venir qui si on n’intervient pas maintenant arrivera inexorablement. Leur anticipation ne témoigne pas ainsi d’une volonté, mais de décisions déterminées selon une nécessité économique irrémédiable indéracinable qui tôt ou tard se produira. Ici nous retrouvons le premier point marqué ci-dessus : l’économie ne semble plus à les entendre du ressort de la décision humaine ou encore de sa volonté, mais devenue une dimension ontologique première qui a des lois autonomes et réelles par rapport à la sphère obéissant à la volonté. La dichotomie entre la liberté et le déterminisme classiquement posée par la philosophie entre la dimension matérielle et la dimension intelligible (cf. 3ème antinomie de Kant, dans la Critique de la raison pure) s’est déplacée dans le rapport entre liberté humaine et économie. Au point même où la question du déterminisme matériel et physique (par exemple la canicule, les catastrophes climatiques reliées à la pollution) ne soient elles-mêmes plus que des détails ou aspects particuliers de cette nouvelle antinomie. Ici glissement, ici dérapage, ici il n’y aurait qu’à analyser aussi bien la logique des discours économiques américains prônant comme nécessité le passage aux démocraties libérales (analyse des transformations opérées en Amérique du sud ou encore en Irak) ou de Greenspan, le gourou de la banque centrale. Ici glissement vers un fatalisme économique. Certes il serait séduisant de contrer ce discours-là par un autre volontariste, impliquant une plus grande liberté humaine. Mais attendons avant de plonger dans une telle brèche par trop visible et simpliste. Le second point que je mettais en avant, et qui est impliqué par celui-ci, se détermine dans les attributs messianiques des discours politiques venant répondre à ce fatalisme. Les décisions politiques de l’exécutif, à chaque fois, semblent revendiquées être sauveurs, rédempteurs face au déclin, s’appuyant sur une vérité nécessaire et indiscutable. Réécoutons Raffarin, Ferry, Aillagon : nous sauvons, nous sauvons, NOUS VOUS SAUVONS, quitte à ce que vous deviez consentir à des sacrifices. La parole messianique s’établit toujours sur une apocalypse à venir, sur un dévoilement inexorable de la vérité, telle que ce discours l’anticipe, la devance et y corresponde. Pas la peine d’attendre 2020 pour voir la catastrophe, car ce que NOUS VOUS DISONS sera vérifié, agissons alors selon cette vérité future et fatale. Rhétorique qui devient de plus en plus classique, rhétorique de la persuasion, rhétorique efficace à voir dans quelle mesure la majorité de la population semble consentir à son fonds. Face à cette rhétorique, nous percevons alors, un contre-investissement rhétorique et affectif qui s’incarne dans les luttes alter-mondialistes, dans les luttes des paysans, des artistes, des professeurs, des …, des « … », oui de ceux qui se tiennent en suspension dans ce réel qui ne semble pas s’écrire dans le discours officiel. Toutefois, et c’est là que s’ouvre un réel abcès, sommes-nous certains que les alternatives proposées soient : 1) si différentes de ce que propose la logique libérale économique ; 2) en rapport avec la situation affective de projection existentielle des populations ? A écouter Bové, les intermittents pour qui va ma sympathie pourtant, on pourrait agir économiquement autrement. Or, lorsque l’on écoute Bové et ses sbires, ce qu’il s’agit de défendre c’est d’abord et avant tout un intérêt privé, lié à l’économie et sa maîtrise par ceux qui sont défendus par lui. Il n’y a qu’à voir la réaction des paysans du Larzac face au teknival : scandalisés qu’une manifestation qui ne les concerne pas vienne s’installer sur leur terre. Il n’y a qu’à voir ce qu’ils revendiquent économiquement : l’obtention d’un pouvoir au niveau du capital pour le paysan. En bref, face au capitalisme libéral, ce qui est revendiqué c’est un micro-capitalisme-libéral, de l’obtention de la propriété, selon des catégories spécifiques. C’est ainsi que tout un chacun chez les alter, revendiquent à chaque fois une plus-value de sa propre spécificité selon une détermination de la propriété. C’est là, en fait que le second point mis précédemment en question se révèle : sommes-nous certains derrière chacun des beaux discours énoncés que nous ne sommes pas en train de nous figer nous aussi dans une posture capitaliste liée aux désirs de possession ? Ce qui me surprend toujours c’est cet écart entre d’un côté la plainte, complainte, propre aux victimes et de l’autre côté leur manière de revendiquer leur propre existence. On se plaint d’un système tout en le renforçant dans les revendications. Bourdieu avait parfaitement compris cela dans la séparation entre sphère d’appartenance et sphère de référence. La plainte provient toujours d’un vécu de sens au niveau d’une sphère d’appartenance (discours de la victime), toutefois les projections liées au désir de celle-ci se structurent au niveau d’une sphère de référence qui ne concorde pas avec cette sphère d’appartenance, et peut même en être contradictoire. Ce serait le glissement que note Bourdieu dans la sphère de l’habitus bourgeois. Oui il est dégueulasse que nous soyons victimes du capitalisme sauvage, de l’exploitation de certaines masses salariales dont nous pouvons nous aussi faire partie, toutefois notre projection affective n’obéit-elle pas aussi à ce que nous dénonçons. Le lambda péquin moyen crache sur le capitalisme, mais est le premier à se rendre dans le conard-land du coin, où la vie est moins chère, où on positive, où on paie en quarante-douze fois selon un TEG écrit en tout petit de 11,90 % au minimum. Et puis on en a rien à foutre que nos verres soient produits au Pakistan par des mômes de 9 ans, que nos fringues soient assemblées par des petites mains asservies, que notre bouffe soit le résultat d’élevage en batterie. Du moment que ce n’est pas cher ! Du moment que l’on jouit ! On gueule contre l’exploitation, contre la dégénérescence du tissu social, cette insécurité galopante, mais on se vautre à millions devant la real-TV, prompte à fonder les relations sociales sur le mensonge, la manipulation de l’autre et son élimination, devant la moindre série télévisée qui fait reluire le privé, celui qui crache sur l’institution, la montrant comme un pouvoir à éliminer pour jouir de soi. C’est cela que les alter n’interrogent pas, cela, oui, ça, ça qui s’échappe aussi de leurs mots, ça qui les travaille, leur jouissance de potentiels petits chefs, de petits dirigeants, de petits capitalistes de leur jouissance, de consommateurs repus. Même si je le sais, certains agissent de bonne foi, et ont déjà sacrifié leur individualité à la représentation d’une réalité affective collective. Mais eux aussi se leurrent, comme pouvait se leurrer Mehdi Belhaj Kacem dans sa dénonciation de la démocratie médiatique et des intérêts qui font agir les sujets de l’Etat. Car, en effet, ceux qui revendiquent l’égalité sociale et économique, outre qu’ils devraient réfléchir à l’échec des systèmes socialistes marxistes en relation aux polarisations affectives des individus, ne pensent pas que les populations n’aspirent qu’à une chose évidente l’obtention d’une jouissance matérielle de leur existence. Discours utopique, discours révolutionnaire caduque et périmé ! Inutile de vouloir un monde d’égalité fondé sur un communisme, une mise en commun, puisque de toute façon les populations occidentales et peut-être encore plus les populations du tiers-monde et ceci sans que cela soit véritablement une conséquence éducative, aspirent d’abord et avant tout à la propriété privée. Même si moi-même je le reconnais, de tels systèmes nous hantent, nous font rêver d’un monde meilleur. Il y a quelques années, Derrida parlait des Spectres de Marx. Alors quoi ? Que faire ? N’attendez pas ici de réponse ! Non ! Seulement l’indice peut-être d’une éthique du multiple et du singulier à constituer selon la prise ne compte de la transformation ontologique du déterminisme du monde régissant la dimension humaine. Seulement peut-être la prise en compte insistante que si aucune révolution n’est possible comme acte réel de notre survie, mais seulement comme contre-loi liée à ce qu’elle dénonce, il s’agirait davantage de se confronter aux systèmes actuels dans le même sens que pouvait le revendiquer Fluxus ou Burroughs : par interférence médiatique avec les pouvoirs hégémoniques qui détiennent la représentation du monde humain. En effet, qu’y a-t-il donc à faire si ce n’est créer les lieux de notre propre corporéité en court-circuitant de l’intérieur les vecteurs de pouvoir. Individualité hybride alors, tout à la fois à l’intérieur, ne revendiquant plus l’utopique réel d’une extériorité idéale, et jamais totalement digéré, se développant selon le système du cancer, de la cancérisation des dimensions libérales afin de se les réapproprier selon une éthique de la différence et du multiple (totalement opposée aux cul-terreux du Larzac ou encore aux penseurs libéraux de la politique capitaliste actuelle qui prône l’élimination de la différence). L’enjeu ainsi, non pas une politique (renvoyant toujours à l’assomption d’une identité, sauf dans le cas d’une politique de l’incommensurable au sens de Lyotard), mais une éthique de l’altérité, une éthique de l’hospitalité.