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Psycho-somato-pathologie d’une économie esthétique

 « Un jour on saura peut-être qu’il n’y avait pas d’art, mais seulement de la médecine »

Le Clézio,

 

L’« art » une monnaie sans empreinte.

 

Le concept d’art semble être devenu un concept de démarcation, concept bourgeois de la valeur et de la reconnaissance. L’art est une catégorie bourgeoise qui se donne dans des institutions qui sont là pour garantir la pérennité de cette distinction bourgeoise. Il y a de l’art partout, dès les initiations au cours élémentaire, jusqu’aux arts plastiques aux lycées, et aux multiples écoles d’art qui fleurissent en région sous le nom de Beaux-Arts. L’art est vendu sur chaque chaîne de télévision, chaque station de radios, tant et si bien, que toute production pourrait prétendre sans grande difficulté à être de l’art, étiqueté et labellisé « art », comme s’il ne s’agissait plus que d’un alibi . 

 

Cette neutralisation de l’art est due au fait d’une absorption et d’une neutralisation dialectique par le concept de culture. L’art n’est plus ce que pouvait encore y entendre Heidegger, ni encore ce qui apparaîtrait comme seulement technique. L’art est devenu synonyme de culture, de ce qui se cultive, de celui qui cultive, permet d’être ou de paraître cultivé. L’art ne semble avoir de substance que par la communication qui fonde la culture. Les mots en sont la véritable matière, et la culture le sanctuaire ou la serre. Les mots, qu’ils soient ceux du critique, ceux du journaliste, du spectateur à qui on a dit qu’il y avait là de l’art, et qui alors voit de l’art, voire même des artistes, sont le lieu même de sa révélation.

L’art est partout, Ben l’avait dit : « tout est art », mais l’art non pas en tant que vie, ce que désirait y voir Fluxus, mais en tant que valeur d’échange, de reconnaissance, principe de distinction, de subjectivation. Valeur, ne renvoyant qu’à la représentation, la possibilité de comparaison arithmétique en tant que valeur, valeur où la chose, ce qui se donne dans une expérience originale et singulière, est morte, annihilée dans la logique d’une égalisation par nivellement au plus petit dénominateur commun . De plus en plus, là, où on parle d’art, ne se succèdent plus que des projections de symboles qui viennent voiler ce qu’il y aurait à voir, écouter ou toucher. 

 

Les majors, distributeurs de valeurs pour consommation de masse, ne s’y sont pas trompés, selon une telle logique de projection des catégories, rien de plus facile de substituer les choses ou les êtres. Les artistes devenant interchangeables, leur apparaître n’étant plus qu’en relation à la volonté de remplacement et de circulation de la valeur par les pouvoirs hégémoniques qui contrôlent et garantissent son cours.

« Art » : non seulement c’est un concept qui apparaît dans une diversité de sites culturels, mais en plus c’est un concept flou dans son emploi. Un concept que l’on pourrait facilement dire porteur, accordant de l’importance à ce à quoi il est attribué. C’est un qualitatif de connivence. Qui permet de parler avec aisance d’artistes, que cela soit des chanteurs, des graines de star, des peintres du dimanche, des passionnés de marionnettes, de n’importe quel créateur trafiquant un peu de matière, etc… Qualificatif qui permet de déterminer une identité, une égalité entre tous. Anne Cauquelin aurait en effet raison de dire dans L’art du lieu commun, alors que la doxa est partie liée à la notion d’art, au sens où sa logique d’inconstance, de variation, serait tout à fait adaptée au régime de variation de la valeur et de sa reproduction en différence.

 

L’hystérie ou la rage d’employer ce concept en a détruit le sens, en a émoussé la force. Si Deleuze a raison de dire que dans un concept, il y a du perceptif, alors ce concept d’ « art » ne permet plus rien de percevoir. Ce concept est brouillé, « art », comme l’artisan, « art » comme le brillant, le clinquant, comme ce qui ne sait même plus pourquoi on l’appelle « art ». Le concept, selon Deleuze et Guattari, devrait permettre de saisir des intensités de ce qui a lieu, au cœur du sensible, et en ce sens accueillir en lui des percepts, donner accès au monde. Or, si un concept comme celui d’ « art », n’est plus que la vague étiquette, irréfléchie, d’identités plaquées, le concept d’ « art » ne renvoie plus à rien, n’indique rien. Bâtard et sans intensité propre, il serait seulement l’instrument de logiques de représentations en vue de fins qui ne lui sont plus propres. 

 

Ce qui se cache en contre-bande de cela n’est autre alors que la logique de production qui  est à l’œuvre au coeur de la subjectivation bourgeoise, comme l’avait montré il y a déjà longtemps Marx.. Production de valeurs. De valeurs qui pour apparaître dans le champ de la culture doivent neutraliser tout ce qui serait considéré comme étranger aux règles qui déterminent la structuration légale de la culture. De sorte qu’au « nom des consommateurs, les responsables éliminent de la culture ce qui en elle dépasse l’immanence totale existante et ne laisse subsister que ce qui y remplit une fonction univoque. » (Theodor W. Adorno, Prismes). La fonction univoque dont parle Adorno ici, est celle de la reproduction/duplication de la production du bien appelé culturel, selon la nécessité de la reproduction du capital de cette production. La culture ne serait plus que ce qui trouve son identité symbolique dans la circularité ou la tautologie de l’économie se reproduisant par des médiations spécifiques, tel que l’art ici. C’est pourquoi, si consciemment, l’on croit que l’on parle d’art, si on manipule cette référence afin de se distinguer et donc pour posséder un critère de détermination de classe sociale (Bourdieu), cependant c’est au niveau de l’inconscient socio-économique que se structure la finalité de la production de la culture, tout ramener  à elle-même. « C’est pourquoi, la culture des consommateurs peut se vanter de ne pas être un luxe, mais un simple prolongement de la production » (Adorno, idem). 

 

Nietzsche a raison de dire dans Le livre du philosophe, que les concepts sont devenus en occident « des pièces de monnaie qui ont perdu leur empreinte et qui entrent dès lors en considération, non plus comme pièces de monnaie, mais comme métal ». Il n’y a plus que le métal et plus l’empreinte, le touché qui a imprimé le métal. Le métal n’est plus que la valeur d’échange. On achète, ou vend de l’art comme une pure information, un pur énoncé vis-à-vis duquel ce qui a eu lieu n’est rien, est ce qui est vidé de sa singularité pour être neutralisé en vue d’une égalité de droit au niveau de sa diffusion, en vue « d’une identification du non identique ». 

 

 

 

Oui à la vie :

Mais, est-ce que parce que l’art n’est plus que tenu institutionnellement dans le carcan de la spectacularisation de la production en tant que nécessaire médiation en vue de la duplication de cette dernière, il faut pour autant abandonner la possibilité de parler de la création, de la manœuvre qui œuvre et ne se soucie non pas du métal seulement, mais de l’empreinte imprimée sur le métal ? Est-ce que parce que l’art a été dévalorisé par la surinflation des productions qui revendiquent son crédit ou son alibi, il faudrait perdre la possibilité de réfléchir ce à quoi il pourrait se rattacher, au niveau de la question de la création ?   

 

Non, car ce serait là, une démission face à tous les académismes qui revendiquent la notion d’art. Toutefois, réfléchir alors sur l’art exige de changer de critère, d’en interroger l’existence, de comprendre en quel sens il pourrait se définir autrement que dans le cercle tautologique du mouvement de production de valeurs. Il y a déjà longtemps que ce critère existe, et il n’est aucunement réductible à la question du nouveau, de l’invention, de l’inventeur, de l’innovation. Tout cela étant bien évidemment des attributs qui sont totalement produits par la production économique elle-même, en vue de maintenir voire attiser les désirs de consommateurs avides de nouveautés et d’exclusivités, des arts-bibelots, des arts-gadgets, de ce qui saura toujours leur accorder un critère de distinction. Il ne se donne pas non plus à travers une conception de médiation pour un universel qui se donnerait en vérité dans son savoir au niveau du concept et de l’Esprit. Oui, cela fait longtemps qu’un critère semble exister, mais, en ce temps et ce lieu où la logique de production généralisée ne revendique que sa duplication, il apparaît voilé, bien que parfois il réapparaisse, et vienne témoigner dans le discours de certains manœuvres : la vie.

 

Lorsque je dis que la vie serait un critère pour parler de l’art, je parle bien évidemment de la double dimension de la vie, son impact affectuel sur les choses, et d’autre part sa configuration perceptuelle. La vie en tant qu’elle vient, comme le disait avec élégance Bergson, jouer avec la nécessité, qu’elle vient la remettre en jeu en tant qu’incommensurable cause de l’imprévisibilité. Et ce critère n’est pas aléatoire, car ce qui est en œuvre dans toute captation effectuée par la tautologie de la production de valeur se constitue comme un vampirisme des forces vitales. Artaud, fut sans doute l’un des premiers énonciateurs de cette logique de vampirisation du système du libéralisme, et ceci magistralement dans Pour en finir avec le jugement de Dieu, où d’emblée il dénonce l’Occident américanisé, en tant que pour se reproduire, il est obligé de capitaliser/vampiriser le sperme des enfants américains. La vie est ce qui doit être digéré par les énoncés de la culture, ce qui n’a pas le droit d’être, dès lors que toute vie se développe en une immanence singulière.

 

La reproduction des valeurs est vampire, car en tant que culture, elle est inapte à se reproduire, elle ne peut se dupliquer, qu’en corrompant son hétérogène absolu, la vie, et de là en la transformant en son double, en sa propre essence de produits culturels, mis en circulation par neutralisation.  « Le conquérant ne détruit pas le vaincu, il n’a pas intérêt à se débarrasser du vaincu mais à le pénétrer d’un venin propre jusqu’à ce que le semblable s’assimile au semblable en lui, et que le vaincu ne soit plus là mais son corps avec la conscience du seul vainqueur » (Artaud, O.C, XI) Comme toute égalisation, il y a une part de sacrifice de la différence.

 

La vie semblerait donc être ce qui s’échappe de la fixation/dilution de l’art dans la valeur et sa reproductibilité par effacement. Celui qui apparaît bien l’avoir compris, et non pas seulement dans une production, mais au niveau d’une éthique de vie, de la manière d’habiter ou d’exister sa vie, n’est autre que Filliou qui pouvait déclarer que « l’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante de l’art ». Filliou apparaît en effet comme l’un du groupe Fluxus qui a su le mieux mettre en évidence les positions du groupe, de ce qu’est se retrouver dans un flux, une immanence.

 

En jeu, et ceci par son expérience personnelle en rapport à la guerre et la mort, en liaison avec sa connaissance des cultures qui peuplent et signent le monde, la vie. Vie qui chez lui s’est donnée dans un bricolage, de bric et de broc, un bricolage où ce n’est pas le brillant, la technicité qui fait œuvre, mais l’imagination. 

 

« La conscience c’est la vie. L’inconscience c’est la mort, entre les deux c’est la souffrance ». 

 

Filliou a conscience que l’existence humaine se constitue dans cet écart entre vie et conscience, dans cette différence, dans ce qui n’a de cesse de s’arracher de la vie et de différer de la mort. Filliou a conscience, et ceci parce qu’il a connu la souffrance comme mode d’existence, que la souffrance, et donc le degré pathologique ressenti dans le corps et le la conscience, est moteur du développement de vie en soi. Donc, qu’il ne peut y avoir de vie, si la vie ne s’affronte constamment à sa négation, au Todestrieb, qui la pousse à vivre. L’un des premiers a thématisé cette perspective, certes fut Nietzsche, mais au niveau de formulations concrètes associées à des œuvres plastiques, ce fut Prinzhorn dans les années 20, psychiatre, qui réunit le premier la plus grande collection d’art de la folie, d’art brut. Pour celui-ci, comme il l’explique dans L’expression de la folie, le résultat de la pathologie, résultat pictural n’est pas un acte délirant, mais l’expression de la possibilité d’une compréhension structurée pour l’aliéné. Le fou semblerait développer alors selon sa propre spécificité un cosmos qui lui est propre, qui lui permet de recevoir et de s’exprimer dans un monde. Anomalie du fou qui n’est plus signe d’une anormalité destructurée, mais d’une déterritorialisation de tout nomos constitutif de la société, en vue de son propre cosmos. Chaque élément symbolique produit, ne valant que dans sa propre cosmogonie. Ce processus n’allons pas l’imaginer comme volontaire, au sens d’un libre-arbitre, ni même involontaire au sens d’une inconscience totale. Ce processus de déterritorialisation n’est autre que l’expression d’une nécessité, qui se donne comme excitation, agitation du sang et des nerfs. La vie est l’imprévisible qui nous anime, et la production sait la capter, par hypnotisme de ces énoncés et de ces dispositifs.

 

J’ai toujours été sensible au fait que Nietzsche rapproche l’artiste et la folie, comme deux visages d’un seul être, deux énoncés se rejoignant tout en partant de points opposés : la reconnaissance/l’effacement (cf. Foucault, L’histoire de la folie à l’âge classique, et la question de l’enfermement). Chez Nietzsche, il y a cette constance à relier l’expression, la production de sens, les traits de la conscience, à des états nerveux. Il sait ce que c’est qu’être psycho-somato-pathologue, lui qui vers la fin de son œuvre se revendique psychologue des symptômes qui atténuent la grande raison du corps : la volonté de puissance.

 

L’ouvrage créé, l’œuvre ne serait plus le signe d’une volonté qui veut créer, mais d’un corps (tout à la fois spontanément et simultanément psychique et somatique) qui ne peut faire autrement pour ne périr que de transformer la matérialité qui vient le rencontrer. Corps qui se propage, qui se répand, qui s’étend dans une déterritorialisation-reterritorialisation constante de ce qui lui est imposé. S’il lui était impossible d’y parvenir, s’il y a une résistance absolue en lui, à pouvoir faire une synthèse du donné extérieur, alors il ne lui resterait que l’autisme. La prostration. Mais celui que l’on appelle ici l’artiste, le manœuvre, n’est pas autiste, et ne peut acquiescer au principe de réalité qui est imposé par la diversité des pouvoirs qui ont l’hégémonie sur la conception du monde. Le manœuvre est toujours déjà l’acte d’une main, qui perçoit, touche, résiste et travaille. Il y a de la manie dans le fait de devoir s’échapper d’un plan de consistance, tout en en reconstruisant pour éviter l’abîme de l’angoisse. 

 

 

L’artiste est un malade, et aucun maquillage, aucune retouche médiatique ne changera ce caractère monstrueux propre à toute donation esthétique qui fonctionne par déterritorialisation-reterritorialisation. L’esthétique de la création artistique est toujours à analyser selon ce degré psycho-somato-pathologique d’un corps et de sa souffrance à exister. A savoir dans le rapport étroit entre la vie et la mort. 

 

C’est pourquoi chez Filliou, pour poursuivre en sa compagnie, la vie est formulation concrète non de mécaniques ou de techniques, mais de l’imagination. Non du brillant qui obéit au critère de reconnaissance des institutions qui règles les logiques de productions, mais de l’imagination qui est corrélative de l’intensité de vie. L’imagination, à savoir au sens même de Bachelard, la faculté sans maîtrise de déformer les images, les notions, les concepts, tout ce qui dans une société de contrôle des valeurs est inexorablement donnés comme pré-déterminés, répondant à une axiomatique de signification. « une intuition des œuvres peuvent être créées aussi vite que le cerveau les conçoit. (…) En fin de compte, plus de travail manuel dans le sens de la perfection technique reconnue comme critère de la création : un Art qui a des ailes, comme l’imagination a des ailes. » (Filliou, Une proposition, un problème, un danger, une intuition, 1967).

 

« Le but de l’art, avec les moyens du matériau, c’est d’arracher le percept aux perceptions d’objet et aux états d’un sujet percevant, d’arracher l’affect aux affections comme passage d’un état à un autre » (Deleuze Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?).

 

Mais si comme le dit aussi Artaud, la conscience qui se réveille à elle-même, qui affronte la douleur de sa vampirisation, « volée par le vampire, revient comme le cœur de celle à qui elle fut volée et le vampire est damné » (O.C, XIX), est-ce que la conscience qui ressent cettte déperdition irrémédiable de sa vie par la vampirisation ne devrait pas en contre-coup, comme s’il s’agissait d’une guérilla, en venir à réinsuffler la vie dans la perte inéluctable de vie de la production ?  

 

 

Configuration affectuelle du monde : une esthétique de la cancérisation

 

Vampiriser à notre tour, ou se cancériser, retrouver la vie dans l’espace concentrationnaire de la production des valeurs, serait alors accepter dans son entièreté les impacts de ce monde de culture et se laisser devenir le transformateur/révélateur de notre vie à travers la re-configuration de ce qui nous est imposé. Dick Higgins de Fluxus ouvrait la voie en énonçant la notion d’intermédia. L’intermédia pensé par Higgins dans les années 60, est la possibilité de créer des œuvres qui sont hybrides, qui investissent des domaines et des champs divers, en s’interrogeant sur la matière concrète qui constitue ses champs (les médias). C’est pourquoi, engagée dans une perspective concrétiste, l’intermédiation apparaît être la nécessité d’un corps qui ne peut plus dissocier les matérialités, qui en a besoin pour exprimer son possible topos. Vampiriser à notre tour, ceci dans la nécessité même de ce qui se produit comme vie par nous. Sentir la corruption qui nous envahit, et dès lors utiliser cette corruption comme notre propre matière. Le projet de Fluxus n’était pas de créer des objets nouveaux, ou de se faire valoir comme extra-ordinaire, mais d’investir et de reconfigurer par le flux les relations et les associations opérées par l’égalisation sociale.

 

 

Si Burroughs par exemple a compris par le cut’up, en quel sens la matérialité à l’œuvre était issue des institutions qui produisent de la culture, cependant, contrairement au Fluxus, il en reste encore la revendication d’une généticité extérieure de l’art, de l’être de l’artiste. C’est pourquoi il revendique, le cut’up comme un art viral. Qui vient proliférer et gangrener le plan mondain de la culture. S’il perçoit parfaitement la nécessité de la lutte armée, celle-ci se fait à partir et en direction d’une extériorité : « Un nouveau langage peut permettre de forger une arme biologique de portée extrêmement puissante » (Burroughs, La révolution électronique), cette extériorité est celle du corps animal, du corps enfant, scatologique, du corps pulsionnel.  Avec Fluxus et la question de la fin du statut de l’artiste défendu par Maciunas par exemple, et la fin de l’œuvre en tant qu’œuvre (donc désoumise de toute tautologie culturelle), tout surgissement de flux concret devient la prolifération cancéreuse d’une cellule de la société au cœur de celle-ci. « Les objectifs de Fluxus sont sociaux (non esthétiques) (…) une élimination progressive des beaux-arts. (…) Deuxièmement Fluxus est contre l’art comme médium ou véhicule promouvant l’ego de l’artiste » (Maciunas, Lettre à Thomas Schmitt, 1964). Ce que décrit Maciunas, dans cette programmatique, c’est la possibilité d’imprégner une société, en vue d’une transformation. Ce qu’il décrit, c’est comment des individus socialement déterminés développent un plan autonome d’intégration de la société. Cela implique un caractère de détournement des forces corruptrices afin que s’exprime le flux, donc la vie (« Par conséquent les gens de Fluxus ne doivent pas vivre de leur activité Fluxus, mais trouver une profession (comme les arts appliqués) avec laquelle ils feront une meilleure activité Fluxus » (idem). 

 

Ce n’est pas pour rien qu’au XXème siècle ait pu naître le ready-made, qui de Duchamp à Joël Hubaut actuellement, traduit le mouvement de la vie au cœur des choses mortes placardées en tant que simplement valeurs marchandes issues de la production. Le ready-made c’est lorsque la vie s’approprie la matière morte symbolique et lui réinsuffle de la présence. Cette réappropriation n’est pas le résultat d’un choix, car chercher à imaginer, à créer des liaisons est inutile si les seules règles qui se sont imprimées sont celles des modes de productions hégémoniques. La réappropriation survient, sans que la conscience rationnelle sache pourquoi, car elle est le résultat psycho-somatique du rapport monde-homme.

 

 

 Certes, on me dira par exemple que Hubaut parle de l’épidémiK. Toutefois, ce qu’il traduit parfaitement, notamment dans son dernier livre, Lissez les couleurs, à ras l’fanion, c’est que de propre, d’indemne, il n’y a jamais, que nous ne sommes qu’à partir de l’acceptation de notre propre matérialité comme issue et engrossée de l’impropre du monde. De sorte que si notre matérialité vivante, transit de la vitalité pathogène de notre organisme, est épidémiK, ce sera davantage au sens de la cancérisation. On peut constater cela dans ses installations que l’on peut rattacher au processus d’Autruisme cher à Filliou. Avant certaines installations epidemiK, il appelle les gens de la ville à contribuer, à lui amener des objets, souvent associés à une couleur. Puis il agence en machines à transformation de flux, donc transformation de vie par le choc psychique (affect) de ce qui est donné esthétiquement (percept). « Le PsyClom-Clom installation faite aux abattoirs de Toulouse – avril 2001 août 2001 est une installation vive prétexte à des manoeuvres évolutives (…). Le public migrateur empruntant les plates-formes et les passerelles sera invité à découvrir des espaces particuliers très ouverts et quelques cabines plus isolées. Il pourra dériver selon des trajectoires probables aménagées et déambuler dans le psyclom-clom épidémik en s’égarant un peu comme s’il se promenait sur le pont d’un navire customisé en se déplaçant d’un niveau à un autre par un effet de «psycho-tangage» dans le flou monochromik vertigineux jusqu’à d’indicibles points de vue centrifugés ». Joël Hubaut ainsi remédie les biens de consommation issues de la production, au sens où il introduit dans ce qui n’a plus de prégnance symbolique, ce qui n’est plus que résiduel, une nouvelle vie. 

 

 

Oui disons le, contre tous les contempteurs de critères esthétiques : tout art est dégénéré. Les oeuvres s’inscrivent dans les interstices des genres, en décomposent les règles et les ordres, dé-génèrent pour retrouver leur propre généalogie.