[art numérique] Time philosophers
time philosophers [le temps des philosophes] est une installation d’art numérique, programmée avec pure-data.
Elle interroge le temps du regard, de la reconnaissance en mettant en relation des portraits de philosophe et le processus même de la composition de leur visibilité par des textes qu’ils ont écrit..
Dans une époque sans cesse décrite comme éprise de vitesse et d’oubli, notamment par la philosophie, cette oeuvre propose une approche temporelle du portrait de philosophes, une approche où il va falloir endurer le temps pour lire l’oeuvre, pour découvrir le visage qui s’y plisse.
Cette oeuvre propose l’expérience de la lecture du regard au sens où le portrait se compose de centaines de milliers de lettres qui apparaissant peu à peu génèrent le portrait en 3d. Ces lettres correspondent à chaque pixel du portrait, et pour chaque portrait elles sont issues de passages de l’oeuvre du philosophe.
La réécriture de l’oeuvre dessine le visage. Image temps écrivait Gilles Deleuze, c’est dans le temps de la composition de l’image par un lettrisme lié aux pixels de la photographie que le regardeur devra pénétrer.
Le temps expérimenté amène à découvrir un autre visage que celui proposé par le portrait, un rythme photographique, une littéralité de l’image. L’analogie tissée, est celle de la liaison entre l’impression de la pensée et l’impression photographique. C’est l’écriture de l’auteur qui tisse son visage, et c’est le visage qui déforme l’écriture. Entrelacs de deux traces qui se diffractent, l’une, l’autre. Un jeu délicat se joue entre d’une part la possibilité de voir le portrait et d’autre part l’écriture. Plus l’écriture se marque, plus le portrait se forme, et plus la possibilité de lire s’efface. Le visage conditionne l’écriture, la tord, dimensionne sa présence.. Au contraire, moins l’écriture est apparue, plus des mots voire des phrases peuvent être saisies, moins le visage s’esquisse. L’écriture esquisse le visage, en donne la densité, c’est au creux des lettres, que l’ombre du visage se dessine.
Se donne à voir ainsi, le singulier calligramme d’un visage dont l’écriture — comme trace, restance
d’une présence — forme la trame, la chair. Cette réalisation en un sens pourrait s’inscrire alors
aussi bien dans l’horizon des peintures de Giuseppe Acimboloto, que d’Apollinaire, et de ses calligrammes.
Toutefois ce qui anime ce travail tient à la question de la mémoire, de la possibilité de voir le visage d’une pensée, de la trace.
Comment une pensée se donne-t-elle à travers le temps ? Dès Platon, cette question devient centrale
dans la philosophie. Dès Platon, au sens où, les trois- quart de ses dialogues sont introduits d’une manière indirecte. Cette question de la spectralité de la pensée, bien évidemment est au coeur de la recherche de certains des philosophes ici choisis : Derrida, Deleuze,
Lyotard, Lacoue-Labarthe; Nancy… Entre chaque visage, sont intercalés certains concepts essentiels de ces philosophes par rapport au temps. Ces concepts eux-mêmes ne se donnent pas immédiatement, mais ils obéissent au temps d’affichage d’une modélisation de pixels. La lenteur de leur apparition correspond à la lenteur de la construction conceptuelle en philosophie. L’esthétique choisie est celle de l’affichage des premiers moniteurs, point à point.
Il ne s’agit donc pas de rendre l’image, la copie d’un portrait, mais de concevoir une forme de spectralité.
Sa recomposition se fait par une forme d’étirement en 3D, de plissement de l’image par les lettres. Cette spectralité s’exprime dans le flou que compose les lettres, où les zones d’ombre de la
photographie se constituent comme lieu d’effritement du corps du visage, de sa consistance lettriste.
La specralité du visage qui est au centre de ce travail d’écriture photographique, est celui aussi de ce que nous ont transmis ces penseurs. Elle tient à des pensées qui ne cessent de revenir, tant
elles auront contribué à l’analyse critique d’une époque et d’une culture.
Ces visages ne se donnent ainsi que comme des traces, des revenants, et la représentation tout en appelant à entrer dans le labyrinthe des mots, cependant s’échappe quant à la possibilité de saisir tout ce qui a lieu.