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Le temps de l’imagination artificielle

La nouvelle avancée d’openAI avec Sora a été remarquée, et a rendu une nouvelle fois béat, nombres de commentateurs sur le web, suscitant une avalanche de commentaires, d’articles et de chroniques.
En effet, les videos apparaissent bluffantes au premier abord.

Ce que vise openAI depuis dall-e 2, c’est de combler l’écart entre la projection de la conscience humaine liée au prompt et le rendu par l’imagination artificielle. Plus précisément, de réduire les processus de génération à correspondre aux intuitions de l’espace et du temps qui sont propres à la conscience humaine. Open-AI conçoit les IA, non pas comme l’exploration de possibles, mais selon un réductionnisme mimétique, fondé sur le lien de ressemblance entre le prompt et le rendu, comme si le prompteur (a conscience humaine) déterminait la qualité mimétique du rendu. Il induise alors une forme d’illusion de maîtrise chez l’utilisateur, qui va alors pense qu’il est la cause efficiente du rendu, oubliant la densité de boîte noire algorithmique de l’IA. L’imagination artificielle dans une telle perspective obéit strictement à la logique de représentation de l’esprit humain. J’ai montré cependant à plusieurs reprises, comment ce n’était qu’illusion, notamment dans la série Dreamers.
Avec Sora, openAi s’attaque au temps. Les vidéos de démonstration apparaissent correspondre aux intuitions espace/temps que nous avons, à savoir le temps est celui de la causalité que nous expérimentons en tant que sujet doué de corps. Ainsi, on observe un couple de japonais, marcher au rythme du suivi d’un drone. On suit la course effrénée d’une voiture de rallye, etc… Ce qui bluffe à première vue, c’est la ressemblance de ces images, avec des images que l’on pourrait imaginer de la même situation. Alors que le temps semble être le lieu de la bifurcation entre la conscience humaine et les IA génératives, y compris avec stable video, ou runaway (ce que j’avais analysé déjà dans l’article No time for pictures publié par Vidéoformes), openAI, semblerait avoir résolu cet écart.
Toutefois le schématisme temporel des imaginations artificielles n’est pas du tout du même ordre que celui qui se constitue dans notre conscience.
Une vidéo produite par Sora montre parfaitement cela. Elle a été abondamment partagée : quatre hommes déterrent deux chaises en plastique. Le contexte et les hommes apparaissent très bien reproduits, de même que leur démarche. Toutefois, lorsqu’ils se saisissent de la chaise, étrangement celle-ci s’anime seule, suspendue dans le vide, avançant sans causalité motrice.
La nature du temps et de la causalité propre à l’imagination artificielle se dévoile. Le temps n’est pas lié à des lois physiques qui gouverneraient un univers, mais la liaison causale est liée à une induction issue de l’analyse statistique de vidéos et de suites d’images. Or une suite d’images ne fait pas le temps. Intuition bergsonienne du temps par rapport au cinéma, que l’on pourrait actualiser vis-à-vis de l’interpolation du mouvement et des interactions dans la temporalité des imaginations artificielles.

L’imagination artificielle, et c’est cela qui est intéressant, n’imagine pas un monde soumis à des causalités de corps. Car Les IA n’ont pas expérimentés un monde par un corps, mais les IA imaginent un monde à partir des images que nous produisons du monde. Jean-Noël Lafargue a raison d’écrire : « Les images produites par Sora n’ont pas pour référence notre perception du réel, elles se réfèrent à des images déjà produites » (Voir et penser comme des machines) Ainsi, les formes apriori du temps de l’imagination artificielles sont à penser à partir de la question de l’interpolation des images. Alors que les formes apriori du temps de l’intuition sensible humaine, se sont constituées au cours de millénaire d’expérience d’un monde et de sa donation.

Il ne s’agit pas de penser une autonomie des IA dans ce processus, mais de saisir en quelque sorte une transcendantalité de l’imagination artificielle générative, qui serait différente de celle des hommes. Sans cette reconnaissance, la conscience humaine ne peut que vouloir résoudre la différence, afin de s’assurer de la maîtrise purement instrumentale de l’IA, et de là occulter et nier toute expérience de et avec cette imagination artificielle.
Par la reconnaissance d’une transcendantalité des IA, qui ne supposent aucunement la consistance d’un noyau de conscience (Simondon) mais plutôt une nature réticulaire, la conscience humaine peut alors explorer en inter-relation avec les possibles ouverts par les IA, de nouvelles configurations de possibles (ce que j’ai nommés un pararéalisme), qui apriori lui étaient étrangers.